Le duo belge est le premier debout. Il semble qu’ils voulaient partir le plus tôt possible, mais le soleil n’est pas levé et le vent vif et frais. Hypothermie garantie pour deux randonneurs en short et t-shirt. Sagement ils attendent, trépignant sans doute.
Émeline et moi petit-déjeunons. Un peu coupable de les voir nous regarder manger nos flocons d’avoine, j'offre une grande barre de céréales au duo. Ils semblent s’en délecter.
La randonnée nous apprend à nous satisfaire de peu, d’apprécier la valeur des petits riens, qui semblent bénins dans nos sociétés d’abondance. Un litre d’eau, une tasse de muesli, quelques carrés de chocolat (épargnés par chance par Émeline) représentent parfois beaucoup. Cette conscience est le privilège des isolés, des ermites. Je me plais à croire qu’elle infuse doucement dans notre duo belge via cette expérience inattendue.
Synchronisation : alors que le soleil émerge, François fait de même. No news de la famille belge, deux duos se mettent alors en route en directions opposées.
Retour à la source, plein d’eau. Sans grande surprise, la poche à eau d’Émeline scotchée fuit, elle la range tête en bas dans un sac poubelle pour limiter la casse. Je la laisse partir devant, ainsi j’enlève mon boxer en toute intimité, le rince bien, l’essore, l’accroche au sac à dos. Les propriétés anti-bactériennes des vêtements techniques font beaucoup, mais pas tout.
La température est agréable, la lumière durcit très progressivement. La petite nuit nous incite à évincer le Grand Veymont, point culminant en altitude, en tourisme, et en soleil.
Nous rencontrons un père, son fils, avec un âne Atos. Ce dernier se laisse caresser sans broncher. Nous discutons avec le père qui nous décrit son expérience, ravi.
Peu après nous faisons une pause, le temps de grignoter une barre, d’enregistrer du son. Je sors ensuite le panneau solaire mais Émeline n’arrive pas à charger son téléphone. Il va vraiment falloir qu’elle termine cette aventure avec le quart de batterie restant. Elle encaisse, voit le bon côté des choses. Je parle encore, peut-être un peu trop. Nous, être attentifs, avons tendance à délier les langues, mais cela va surtout dans un sens, c’est un peu intriguant et frustrant...
Nous repartons, déambulons avec plaisir et ne regrettons absolument pas le Grand Veymont. Cagnard vers la Grande Cabane, pause pique-nique. Émeline repart devant. J’ai encore du mal à la cerner, et ne suis pas toujours convaincu qu’elle apprécie ma présence, alors je lui laisse de l’avance. Je sens qu’il y a des choses qu’elle ne dit pas. Patience, Guillaume.
Mon sac à dos couine de plus en plus, ça me tape un peu sur le système d’avoir ce bruit derrière les oreilles quand je marche. Je tente de localiser sa source, sors le châssis, use de jojoba pour huiler quelques endroits. Malheureusement ça continue. En désespoir de cause je serre toutes les sangles au maximum, prenant du poids sur les épaules, laissant le minimum possible de mou au sac. Ce n’est pas magique mais un peu mieux.
Est-ce la fatigue ? Le décor m’épate moins. M’égaie une bêtise écrite sur un rocher, petit coup d’accélérateur. Je vois Émeline plus loin, j’évite les roches, marche sans bruit, pas pressé d’être détecté. Elle finit néanmoins par se retourner et me voit, elle semble plus souriante. Nous débouchons rapidement dans le secteur de Pré Peyret.
Il y a tout de suite davantage de monde, nous voyons plusieurs dizaines de personnes au cours des heures qui suivent. Il est tôt mais nous restons néanmoins dans le coin car il y a une source et largement de quoi bivouaquer, au calme et en retrait.
On se pose en surplomb, avec une belle vue face à nous sur la cabane de Pré Peyret et le Grand Veymont, à droite sur la source où la file d’attente diminue lentement, et au loin derrière moi se trouve une belle paroi de roche calcaire parfaite pour s’exercer au dessin.
Émeline accepte volontiers une feuille, et la séance commence. Nous dessinons le paysage face à nous. Fidèle à mon rythme je ne lambine pas, même si le dessin de paysage ne m’est pas habituel. 30 minutes plus tard, j'enchaîne sur la paroi rocheuse derrière moi. Encore 30 minutes plus tard, je dessine cette fois un oiseau, de tête, avec mon style caractéristique. Émeline prend son temps, gomme, re-gomme. Je sais qu’elle a déjà pas mal dessiné et peint, mais elle est rouillée. Je serais curieux de la voir dérouillée.
Lorsqu’elle me demande comment j’ai représenté les sapins et qu’elle voit un simple trait de feutre, elle est déçue. Sur le coup c’est un peu vexant. Il y a des dizaines de sapins. Quand je plisse à moitié les yeux, un sapin est un petit triangle sombre allongé, soit, j’use de pression sur mon feutre pinceau fétiche et reproduit cette forme. L’ensemble me satisfait.
Cette après-midi je suis resté en réserve, lui laisse tout l’espace pour s’ouvrir, car habituellement les gens se confient aussi à moi. C’est un échec.
Il n’y a plus personne à la source, nous nous dépêchons d’aller y faire notre plein d’eau. Le filet est maigre et demande bien 30 secondes de patience pour obtenir une litre, nous commençons à y être habitués. J’en filtre également pour un jeune couple sympathique. Un panneau indique que cette source karstique n’est pas toujours potable, sans donner plus de précision, je comprends leur interrogation. La fontaine des Endettés, c’est un drôle de nom. Je me demande si des démunis ont trouvé refuge ici à un moment, repoussés vers le sauvage par les créances.
Il est bientôt 18h, le soleil commence à baisser, quelques tentes sont déjà montées au loin. Nous déplaçons nos affaires en quête d’un lieu propice pour le bivouac. Nous remarquons un bouquetin juste derrière un maigre arbrisseau à côté de la source. Des randonneurs semblent passer à quelques mètres sans même le voir. Émeline s’en approche, et je reste assis plus loin, observant la scène. Lorsqu’elle revient, dans la lumière douce et chaude de fin de journée, elle rayonne.
Fouinant les environs, je dégote un spot de bivouac, qui lui plaît. Étant sur le versant qui va être à l’ombre en premier, je m'assois et profite de la chaleur du soleil. Ne pas réussir à déchiffrer son état d'esprit me rend un peu triste, peut-être suis-je tombé sur plus fort que moi à ce jeu. Elle a installé son camp, je monte ma tente.
On s’apprête à dîner quand elle m’annonce qu'elle partira tôt le lendemain, et qu’on se retrouvera probablement à Châtillon-en-Diois, fin du parcours. Je crois que je mets quelques secondes à accuser le coup. Je ne sais quoi penser. Inviter quelqu’un à marcher avec soi, puis l’éviter une journée entière. Que se passe-t-il ?
Que les gens que l'on rencontre au cours du chemin s'en aillent et reviennent, j'y suis habitué. Que les gens avec qui je pars, s'en aillent en chemin, c'est une première pour moi. Il est vrai que dans cette deuxième situation je joue toujours le rôle de guide, les autres se reposant donc sur moi. Ici je suis avec une marcheuse aguerrie, indépendante. Mon cerveau doit créer une voie pour cette nouvelle situation.
Détestant les suppositions, je cherche néanmoins à comprendre sa motivation. Les sourires disparaissent, l’échange est calme mais un peu froid. En tant qu’introvertis, nous sommes souvent en retrait et peu bavards, les gens pensent alors parfois qu’ils ne nous intéressent pas. Émeline étant une sorte de miroir, je me retrouve pour une fois dans cette position, et réalise que le vrai problème des gens n’est pas que l’on s’ennuie, mais qu'eux puissent être ennuyants. Émeline me répond que ce n’est ni l’un ni l’autre, mais simplement qu’elle veut profiter de la fraîcheur. Bien que nous n’ayons pas de réseau je me rappelle que le dernier bulletin prévoyait plus de 32°, et conçoit la logique de la démarche, c’est tout de même bizarrement annoncée, me renvoyant à nouveau un de mes défauts dans la face : le manque de formulation / d’enrobage.
L’atmosphère se détend progressivement mais, étouffant un peu, après le dîner nous partons marcher une heure chacun de notre côté. Je grimpe profiter des tout derniers rayons, suis épaté par le relief formé de très larges creux, traverse la petite plaine de Pré Peyret, contourne le petit mont central, vois au loin un bouquetin à quelques mètres d’une tente. Le tour fait du bien, nous nous souhaitons bonne nuit et zou au lit.
Comme chaque soir j’insère mes boules quiès, enfile mon tour du cou sur mes yeux, mais rapidement j’étouffe, enlève le tout, dézippe la porte de la tente. Je m’endors finalement avec les boules quiès dans la main.
21 555 pas / 16,4 km (tracé 12,3 km) / 250m D+ / 255m D-