Le petit-déj de l’hôtel déglingue. Il y a tout. J’arrive un peu juste pour les croissants, mais il y a du gâteau basque, des rondelles de banane dans du chocolat fondu, et du plus classique pour tous les goûts… Mes vêtements lavés la veille n’étant pas tout à fait secs, le gérant me propose de les mettre au sèche-linge à faible intensité, il a l’habitude des tenues techniques de randonneurs.
Face à l'épaisse bruine dehors, je traîne encore un peu, profitant du confort, au sec. Lorsque je vais récupérer mes vêtements, la chemise est quasi sèche, le boxer un peu moins, et les chaussettes encore franchement humides. De toute façon avec un temps comme ça je m’attends à finir les chaussures trempées. Je rends la chambre à 11h.
Départ sous une pluie fine, qui s’arrête au bout de ¾ d’h. Le chemin qui me ramène sur mes pas est charmant, ondulant, lové entre arbres courts et arbustes. Le tilleul a couvert le sol de feuilles caramel, associé à l’humidité et à la luminosité faible, l’impression d’automne est marquante.
Deux vautours s’élèvent, gracieux, ombres chinoises, qui se détachent devant les nuages accrochés aux abrupts flancs arborés.
Je tombe la veste de pluie pour avoir le moins chaud possible dans le D+, lourd que je suis du ravitaillement un peu généreux (taboulé, concombre, olives, bière…). J’ai lavé ma chemise, et comme j’ai prévu d’y aller lentement aujourd'hui, autant jouer au jeu du “qui transpirera le moins”.
J’aperçois un groupe de quelques biches qui remonte également. Je me cache derrière les arbustes en espérant qu’elles passent plus près, en vain.
Marcher en montagne appelle souvent à porter le regard loin, voire très loin. Sur le chemin boisé sur lequel je m’élève le regard porte près, très près. D’un pas lent et discret, j’esquive doucement les gouttes suspendues aux feuilles d’aubépine. J’observe les jeux de couleur là où la chlorophylle se retire.
Doucement les bruits de la vallée s’estompent, seuls restent ceux des gouttes qui tombent, d’une corneille qui croasse au loin, et des passereaux qui pépient dans les arbustes alentour.
Plus tard, les nuages viennent draper le chemin d’un voile transparent, renforçant l’ambiance feutrée dont je me régalais déjà.
La forêt s’éclaircit progressivement. Ça zinzinule dans la haie, où une troupe de mésanges à longue queue saute avec légèreté d’un noisetier à l’autre. Un grimpereau remonte un frêne à la verticale, il se fout bien des dénivelés, lui.
Approchant de pâturages, désormais seul le tintement de cloches de brebis ou de vaches est audible.
Aujourd'hui j’écris le journal en marchant, les sensations sont fraîches, et l’exercice semble catalyser la gratitude, qui provoque en moi quelques bouffées et des yeux humides.
Le soleil fait une brève percée mais, en continuant à monter, rapidement brouillard, vent et bruine sont de la partie.
Je m’abrite du vent pour pique-niquer le long d’un bâtiment en pierre. J’en profite pour dessiner avec un peu de musique, assis sur une brouette renversée, le plus près du mur possible pour limiter les gouttes sur le papier.
Le soleil fait une grosse percée. En redécollant, j’hallucine en voyant qu’il est déjà 15h30. Je me sens frais et avance gaiement. Le chemin atteint une sorte de lande qui recouvre le sommet de la colline. En ombre chinoise sur l’arête j’y vois une biche et un cerf ! Je poursuis, lande à gauche, forêt à droite, observe tous les champignons, les russules sont nombreuses.
Remarquant que j’ai manqué une bifurcation, j’opte pour la piste qui continue devant moi et monte. Celle-ci traverse une hêtraie à 1600m d’altitude, les troncs sont moins lisses qu’à plus basse altitude. À ma grande surprise la piste s’arrête net. Je tente un peu de hors-piste pour rattraper ma trace, mais c’est casse-gueule, raide, envahi d’une végétation dense. Mes voyants “bourbier” s'allument. En rebroussant chemin je trouve une zone moins envahie et remonte pleine pente, en tentant de maîtriser ma transpiration. Puis en empruntant quelques traces de biches/cerfs je suis comme je peux les courbes de niveaux, et émerge de la forêt.
Le massif de l’Arbizon offre un décor décidément vert, ondulant. Ça change radicalement des premiers jours de marche, et cette variété booste l’entrain. Changement de météo, qui se dégrade, mais aussi d’échelle. Le relief vire au grandiose, les immenses courbes vertes qui se perdent dans les nuages évoquent des paysages écossais ou gallois. Je file sur le chemin en balcon. La valse des vautours captive toujours. Les nuages descendent et ça m’incite à accélérer.
Approchant du lac d’Arou, je ralentis soudain le rythme à l’approche de troupeaux. Des chevaux broutent paisiblement, et juste au-dessus ce sont des brebis bien blanches. L’herbe tondue à ras évoque une moquette, le relief coupe ici le vent, une sensation de confort en émane. L'idée d'y bivouaquer me travaille, mais comme souvent sur ce genre de spot, trouver 2m² sans bouse ni crottin relève du miracle.
J'erre, scrutant les emplacements potentiels, continue à monter hors piste, suivant de loin un petit groupe de brebis qui m'ouvre la voie. J'atterris juste au-dessus du lac, où se trouve une cabane, fermée, et de belles places à tente. Je m’installe aussitôt, puis vais au petit lac turquoise et frais pour filtrer de l'eau et me rincer le corps.
De retour dans ma tente, le calme est absolu, je n’entends que de fines gouttes et la cloche lointaine de quelques brebis.
Au dîner : spaghettis, sauce tomate-mozzarella (sous forme de soupe déshydratée), olives vertes. Un régal simple et efficace. Le thermomètre n'annonce déjà plus que 2°C, autant dire que la nuit va être fraîche.
Je dors mal. Le thermomètre affiche -2°C. J’enfile tout ce que j’ai, me borde avec la couverture de survie, côté doré vers moi. Malgré ça, sans avoir particulièrement froid je me réveille régulièrement.
Cadéac > Hourquette d’Ancizan > lac d’Arou
11 km 1220 D+ 160 D-