Vadrouilles Attentives

Le temps est froid, mais surtout humide. C’est une envie pressante qui motive mon extraction du chaud duvet. Je m’écarte du lac, creuse un trou et fais mes affaires. Alors que je m’apprête à le reboucher, un trailer sort de nul part ! À 2 minutes près c’eut été très très gênant ! On discute brièvement, le gars a l’air sympa, est parti à 6h et quelques de chez lui, et vise le pic au-dessus : Montfaucon. Tout en discutant, gêné j’essaie de cacher un peu mon trou maladroitement, dont le papier toilette affleure… Il reprend son chemin, n’accentuant pas davantage ma gêne.

Je rebouche, retourne profiter de la chaleur du duvet en petit-déjeunant. Il se met alors à neiger, doucement puis généreusement ! Ça ne tient pas au sol, mais sur la tente oui. Ça s’arrête puis ça reprend, accompagné parfois d’un souffle fort qui envoie les flocons à l’horizontale. Je pense au trailer parti en short vers un sommet 900m plus haut ! Va-t-il faire demi-tour ? Va-t-il se mettre en danger ? Est-ce une promenade de santé pour lui ?

Je finis par plier mes clics et mes clacs, range séparément la toile extérieure de la tente, trempée de neige à moitié fondue.  Remettre les chaussettes humides et froides est toujours désagréable, mais en marchant elles se réchauffent vite.

Scène un peu irréelle de longer ce petit lac tranquille, isolé, avec les brebis qui semblent indécises, le tout sous la neige qui tombe. 

Dose d'hiver. Quelques brebis hésitent à traverser un bras d'eau, qui s'écoule du lac d'Arou en une petite cascade.<br>
Dose d'hiver. Quelques brebis hésitent à traverser un bras d'eau, qui s'écoule du lac d'Arou en une petite cascade.

Je poursuis mon chemin vers l’ouest. L’objectif est de pénétrer le massif, et à nouveau reprendre de l’altitude avec un col à 2403m. Je m’interroge vraiment sur les conditions de neige plus haut.

Ce sont des sentiers de vaches qui me guident, ils sont nombreux, alors il y a régulièrement de quoi hésiter quant auquel emprunter.

Un poulain déjà grand se trouve sur la sente à plusieurs dizaines de mètres, et me fixe. Je continue à avancer.  Celui-ci semble prendre peur et va rejoindre sa mère, qui n’apprécie pas ma présence. Elle avance d’un pas rapide, droit sur moi, son gabarit et sa robustesse impressionnent et rapidement je prends la tangente, essayant de lui faire comprendre que sa progéniture ne m’intéresse pas. Elle ralentit et me fixe. L’intimidation de la jument est efficace, je ne traîne pas. Au détour du virage suivant j’aperçois une biche accompagnée d’un plus jeune, cette fois ce sont eux qui prennent la fuite.

Assez rapidement les nuages se sont levés, produisant une vue à couper le souffle.
Assez rapidement les nuages se sont levés, produisant une vue à couper le souffle.

Je me motive à rejoindre un pseudo col (col de Crabe), pas indispensable, juste pour les yeux, qui profitent du surplomb sur une vallée avec au loin plusieurs plans de montagnes rocheuses, éclairés par une tâche de lumière. Le paysage se joue des nuages qui ondulent en arcs.

Sur mon tracé initial il faut continue plein nord et parcourir 6 km et 400 D- pour rejoindre le bas de la vallée devant moi, avant de la remonter… Vu la quantité de sentes d’animaux sur ces flancs plutôt herbeux, suivre la courbe de niveau et partir sud-ouest pour rattraper la vallée plus haut est tentant. Ce qui achève de me convaincre est la présence d’un pointillé sur la carte IGN, nommé “Guilhemteste” : le test de Guillaume ? Je le relève.

Sentier étroit en balcon. La végétation qui le borde est gorgée de neige fondue qui détrempe totalement mes pieds. Les nuages m’enveloppant soudainement, la sensation d’isolement est intense, saisissante, appréciable. Le sentier disparaît parfois, puis reprend. Je ne tarde pas à rencontrer ses usagers, les isards (chamois pyrénéens), qui s’écartent de l’humain en vadrouille.

Des coulées raides interrompent de temps en temps le chemin. L’espèce de gravier amalgamé cède sous les pieds, et la prudence est de mise pour ne pas finir embarqué dans le toboggan.

Alors que je prends quelques libertés, les nuages vont et me viennent, m'insérant dans une bulle hors du temps.<br>
Alors que je prends quelques libertés, les nuages vont et me viennent, m'insérant dans une bulle hors du temps.

Toute trace de sentier finit par disparaître. C’est à moi de décider en fonction du relief, et cette liberté est assez agréable. Je rattrape le chemin balisé au niveau du lac de Montarrouye. Plus que 500m de D+ avant le col. Le décor se minéralise progressivement, s’élargit tout en étant cerné par les montagnes. Les nuages, et des tâches de soleil rendent la scène mouvante et tout le temps changeante. La roche, les arrêtes, apparaissent, disparaissent, se ternissent ou bien s’illuminent. C’est une météo parfaite, qui ne lasse pas.

Je grimpe, longe un lac vert photogénique, grimpe encore. Il n’y a quasiment plus que de la pierre. Les éclaircies sont de plus en plus nombreuses, chaque apparition du soleil chauffe instantanément, la neige a quasiment entièrement disparu.

Ambiance irréelle, renforcée par un fort sentiment de solitude, d'isolement, et de calme, très appréciés.
Ambiance irréelle, renforcée par un fort sentiment de solitude, d'isolement, et de calme, très appréciés.
Sac déposé, assis sur un rocher un peu coupé du vent, j'étais muet.<br>
Sac déposé, assis sur un rocher un peu coupé du vent, j'étais muet.
Une petite menthe à l'eau ?<br>
Une petite menthe à l'eau ?

Je débouche sur un mini lac, qui semble temporaire puisque les cairns indiquent qu’il faut le traverser. Son eau est limpide, et des pierres plates invitent à la pause. J’essore mes chaussettes et me rince les pieds dans l’eau, puis étale mes différentes affaires à sécher : tente, chaussettes, duvet, couverture de survie. Les étoiles sont alignées : le ciel se dégage de plus en plus, le calme est parfait, le spot est idyllique pour une longue pause et dessiner. N’avoir vu aucun humain depuis 5 heures participe à l’ambiance intime, en ce havre d’une beauté calme et sauvage. Je me sens au bon endroit, au bon moment, le temps s’arrête, c’est exactement ce que je suis venu chercher.

Au menu : concombre, tomme brebis-chèvre, krisprolls briochés, gaufrettes à la noisette, et une canette de 50 cl de bière fraiche, alléluia.

Je dessine la roche devant moi, chose qui me démange tant depuis ces dessins produits en Vanoise 4 ans plus tôt (vidéos). Je m’applique, y passe même un certain temps puisqu’il est plus de 15h quand je plie bagage. Arrivé au col de Couradette (2403m) la vue s’ouvre à l’ouest : un lac attend sagement plus bas, le vent y dessine des olas scintillantes, un relief chaotique de pierriers assoit des barres rocheuses qui se perdent dans les nuages. Le décor est un peu lunaire.

Je dévale, m’arrête savourer des myrtilles, et décide en devinant un chemin marqué par des cairns de faire un petit détour en remontant par le lac d’Arredoun. J’aime ce type de navigation, qui demande d’observer, chercher, je trouve ça ludique. La transparence du lac étonne une fois de plus. Je rattrape l’itinéraire balisé, sur le populaire “Tour de Néouvielle”, et descend au refuge Campana de Cloutou. J’y mange une part de gâteau aux myrtilles, discute un peu avec un couple qui s’installe à ma table en terrasse. Ce refuge est grand et très récent, par contraste avec celui du Bastan, s’en dégage une certaine froideur. Je me remet en route pour m’isoler et avoir une réelle sensation de bivouac.

Troisième dessin de cette aventure, inspiré par la roche qui cerne et fascine.<br>
Troisième dessin de cette aventure, inspiré par la roche qui cerne et fascine.
Plaisirs visuels et gustatifs du côté du col de Couradette
Plaisirs visuels et gustatifs du côté du col de Couradette

Le lac de Gréziolles est plutôt charmant et offre de belles places pour bivouaquer. Je filtre de l’eau, me rince le corps, puis monte la tente. Le soleil ne va pas trop tarder à passer derrière une arête, alors assis sur un gros rocher je profite de sa chaleur, observe les fumerolles de brume à la surface de l’eau. La lumière douce, les nuages qui viennent ajouter de leur magie vaporeuse, rendent la scène très photogénique.

Sans surprise, une fois le soleil hors de vue, la température chute. Doudoune enfilée, réchaud installé dans un creux entre les rochers pile au bon format. je me cuisine mon dîner, puis comme ça caille je vais savourer ce dernier dans la tente, jambes dans le duvet.

Au chaud je traine, regarde les photos du jour. Au bout d’un moment des bruits suspects m’alertent. Je dézippe la tente et jette un coup d’oeil dehors. Un renard se trouve à peine à 3 mètres, en train de fouiller autour de mon réchaud. Nous nous regardons, figés un instant, et comme il est très beau j’ai envie de le prendre en photo et détourne rapidement le regard pour attraper mon téléphone. Il prend ça pour un encouragement, chope la housse orange de ma gamelle et disparaît !

Coup de sang, vite, il me faut m’extraire de la tente. Cavalcade de pensées, mes chaussures mouillées sont devant moi, mon unique paire de chaussettes sèche et chaude est à mes pieds, je ne veux vraiment pas qu’il abandonne cette housse n’importe où et que ça fasse un déchet en montagne… Grouille Guillaume, le renard se barre !

Cadre somptueux pour le bivouac.<br>
Cadre somptueux pour le bivouac.

J’enfile mes sandales, arrive à sortir, le téméraire renard est déjà revenu, prêt à retenter sa chance. Cette fois il reçoit toute mon attention, froide. Il s’éloigne, enfin semble vouloir feinter, rôdant, avant de remonter un pierrier et disparaître. 

S’il revient cette nuit il va me mettre la misère et pourrir mon sommeil. Du côté de Logarska Dolina en Slovénie, 6 ans plus tôt, un renard était venu en pleine nuit se servir dans l’auvent de la tente et l’avait déchirée. Je n’ai aucune envie que cela se reproduise, et stocke quasiment l’intégralité de mes affaires avec moi, nourriture au plus près.

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Le renard ne reviendra pas, pas que je le sache en tout cas. La nuit n’est pas très bonne, malgré tout ce que j’ai enfilé. Le thermomètre affiche -4°C.

Lac d’Arou > Col de crabe > Lac de Montarrouye > Col de Couradette > Lac Arrédoun > Refuge de Campana de Cloutou > Lac des Gréziolles

12 km   850 D+   515 D-