Je me réveille à 6h45, soit quasiment une heure avant le lever du soleil. J’ouvre la tente pour profiter du spectacle qui s’annonce plein est. L’ambiance est encore nocturne, les villes sont illuminées dans la plaine. Au ras de l’horizon le ciel est rouge, et se dégrade en montant jusqu’au bleu nuit profond.
Toujours pas un poil de vent, c’est le calme absolu, j’aimerais figer le temps, pour m’assurer de pouvoir gorger chaque cellule de mon corps de l’ambiance de ces instants. Toujours pas le moindre nuage en vue non plus, les conditions sont parfaites. Je sors faire quelques photos, prépare mon petit-déj, que je m'apprête à entamer alors même que l’astre attendu, doucement émerge au loin à l’est.
Ces instants n’ont pas de prix, je me sens privilégié, là perché, aux premières loges, j’enregistre chaque miette du spectacle en plusieurs copies, là précieusement dans mes disques durs organiques. Je savoure longuement chaque seconde qui s’égrène.
Le lumière finit par s’intensifier, et je plie bagage. Il est l’heure d’entamer l’ultime descente de cette aventure d’une semaine. Deux alternatives s’offrent à moi, onduler sur le sommet de collines, via le “chemin de la montagne de Binaros”, ou plonger dans une petite vallée, longeant les lacs de Binaros et le torrent. Cette dernière option me parait plus immersive.
En chemin un isard s’enfuit, plus loin je regarde avec douceur vaches et brebis qui se mêlent en une file indienne, toutes décidées à prendre de l’altitude. L’écho des cloches va me manquer, de même que les regards qui semblent stupéfaits lorsqu’une de ces créatures m’aperçoit. J’envoie de la bienveillance, regarde ailleurs en baillant, la progression reprend. Une fois la procession passée je continue la descente, rejoint le premier lac où je filtre de l’eau (+ micropur). A l’ombre, où le cours de l’eau fait un petit saut, les herbes sont enveloppées d’épaisses, rigides, et très esthétiques gaines de glace.
Je dévale, croise d’autres vaches, perd le chemin parfois, peu marqué. Dans un coude étroit il faut traverser le petit torrent par deux fois, j’adore ces recoins sauvages et intimes. Là, des os, puis un crâne de brebis attaché à un morceau de colonne vertébrale.
Le chemin est parfois totalement défoncé par le passage des bovins. Leurs sabots se sont très profondément enfoncés dans le sol, qui n’est plus qu’un champ de bataille, de boue, et de bouse.
Déjà 700m de D- avalés lorsque je croise le premier groupe de randonneurs de la journée. On se salue mais nul ne semble avoir plus d’appétit que ça pour lancer la discussion. Le décor change, j’avance désormais en balcon à flanc de colline, sur un sentier très étroit, incliné et bourré de racines d’arbustes et de callune. Moi qui croyais qu'en redescendant ça allait dérouler. Je visais rejoindre le village de Campan en fin de matinée, histoire d’avoir de la marge pour l’auto-stop et bus potentiels, sans pression. L’état du chemin ralentit la progression mais je ne me laisse pas abattre et file autant que possible.
Lorsque j’atteins la forêt l’ambiance change radicalement, j’apprécie la verdure omniprésente, le calme feutrée, discute champignons avec une femme qui les ramasse.
A partir du col de Courade le sentier ondule sur des pâturages, avant de bifurquer dans des chemins creux et boisés. Les arbres reprennent de la hauteur, et la luxuriance régale. J’y prends toutefois une dose d’automne, en foulant parfois un épais tapis de feuilles.
En arrivant au village de Campan, extrémité de mon itinéraire, j’avance dans des allées bordées de murs de pierre. L’épais clocher carré de l’église surplombe de façon imposante, une odeur de feu de bois me parvient, c’est paisible, silencieux, un air presque tiède me vient de face, sensations un peu hors du temps.
Nouveau clin d’oeil du sort : la première enseigne que je vois indique “Chez Guillaume”. Je m’arrête au camion d’un fromager pour quelques emplettes, puis descend à l’Adour, faire un bon brin de toilette sur sa rive calme et désertée.
La Montagnette > lac de Binaros > col de la Courade > Campan
11 km 90 D+ 1650 D-
Une fois relativement propre, mes vêtements rincés et secs (merci le soleil qui chauffe fort), un pique-nique sommaire absorbé, je remonte. Mes chaussures en fin de vie finissent dans une benne, et moi en sandales. Les conditions semblent bonnes pour de l'auto-stop, le trafic est suffisant, et toutes les voitures qui passent par là vont forcément à Bagnères-de-Bigorre, où je sais qu'il y a un bus pour Tarbes.
Grand sourire, pouces qui s'amusent, pour stimuler les conducteur.rice.s. Néanmoins ça ne se presse pas pour s'arrêter. L'endroit semble pourtant bien choisi, la visibilité est bonne, derrière moi il y a de la place sur le côté de la route. Au bout de 15-20 minutes je me déplace, me rapproche du centre du village, où la visibilité est moins bonne mais où se garer est d'une facilité déconcertante. En deux minutes une voiture se range, sa conductrice me fait de la place à l'arrière et c'est parti, sans escale, direction Tarbes !
Je voyage avec 3 jeunes femmes qui rentrent d'un stage de yoga à la Mongie. Elles me confient rapidement qu'il y avait un désaccord à bord, que deux d'entre elles s'opposaient à prendre un gars en stop, par peur, que c'est la conductrice qui a fait ce choix. Au moins ça brise la glace et on plaisante un peu. On discute, et curieuses de savoir ce qui m'amène dans le coin je leur raconte grossièrement. Les vannes de leur curiosité s'ouvrent alors en grand, et quand je montre quelques photos à Laura et Sarah, les étoiles débordent de leurs yeux. Les questions fusent, et on aborde différents thèmes, notamment autour de l'écologie et des bonnes pratiques pour préserver les milieux naturels.
Les deux passagères déposées en chemin, je termine le trajet avec la conductrice. On évoque ses pratiques sportives, et elle m'en apprend davantage sur la ville de Tarbes et la région. Sur ses bons conseils elle me dépose au jardin Massey, où je passe l'après-midi, à écrire ce carnet, manger une épaisse crêpe à la crème de marrons, observer la vie paisible des passants qui flânent. En début de soirée, un premier bus m'emmène jusqu'à Bayonne. Je prolonge mon immersion en écoutant un podcast de Latitudes Pyrénées sur Pascal Sancho, secouriste en montagne.
Pendant la correspondance d'une heure je déambule dans les rues de nuit, aide un compère en quête de kebab. Il ne parle pas français, et son anglais n'est pas incroyable non plus, mais j'arrive à comprendre qu'il est réfugié politique (son père, politicien, a été assassiné en Inde), il monte sur Paris pour des démarches administratives. Il me parle des difficultés à s'intégrer socialement à Tarbes dans sa situation, et le bien que ça lui fait de rencontrer quelqu'un à qui parler.
J'avais un peu idéalisé ce retour en bus de nuit en imaginant que j'arriverais à dormir. En fait c'est compliqué, inconfortable, pas très spacieux. La grande majorité des voyageurs galèrent tout autant, et laissent passer les heures perdus dans le halo bleuté de l'écran du téléphone. J'alterne podcasts divers, et micro-siestes.
Arrivés à la gare routière de Paris Bercy, j'accompagne mon compère jusqu'au métro, ce sont les aurevoirs, avant de monter dans un RER.
J'espère que le récit de cette aventure t'a plu, qu'il a pu susciter des envies saines d'immersion, de reconnexion au temps qui s'écoule lentement et à ce calme infini qui réside en nous, là, parfois bien caché profondément. 🙂
La dernière page de ce journal t'apportera entre autres quelques infos pratiques et un aperçu de mon itinéraire.