La tente est un peu givrée. Je me motive à sortir pour aller creuser un trou et, encore échaudé de la veille, remonte un pierrier pour trouver un coin bien bien tranquille. De retour à la tente je sors le duvet, couvert d’humidité du fait de la couverture de survie (non respirante). Je commence à petit-déjeuner et constate que mon duvet commence déjà à geler. Je rince ma gamelle et la met à l’envers pour qu’elle s’égoutte comme d’habitude, mais à nouveau le gel me montre qu’il en est autrement. Mon filtre à eau semble avoir un peu gelé dans la nuit et ça ne me plaît pas, j’utiliserai du micropur en plus désormais.
Mes affaires en partie rangées, je remarque que le soleil arrive, alors je me déplace de 200 mètres, autant faire sécher de suite ce qui en a besoin. Une fois au soleil la différence de température est flagrante, et pas désagréable.
Lorsque je me mets en route, les chemins en terre croustillent un peu sous mes pas, et par endroits se trouvent d’esthétiques et épais cheveux de glace. Nous sommes samedi, il fait beau. Pas mal de D- m’attend, et je croise un nombre grandissant de personnes dans le sens de la montée. Brin de toilettes dans le cours d’eau. En étudiant la carte j’opte pour un itinéraire bis. Via des sentiers de vaches, je rejoins une piste. Lorsque je croise un troupeau, elles me fixent de leurs petits yeux ronds. Je lis leur surprise avec un soupçon d’outrage. Je suis chez elles, et je m’écarte pour leur laisser tout le chemin.
Cette variante m’épargne 300m de dénivelé, et me permet un crochet par la station de La Mongie. Dose de civilisation donc.
Les moteurs des motos grimpant vers le célèbre col du Tourmalet rugissent. Je me sens plus proche des deux roues non motorisés qui, avec peine, se hissent et suivent la voie des coureurs du Tour de France. Ma motivation pour rejoindre la station est aussi simple qu'efficace : un repas généreux !
Il y a foule, les terrasses sont pleines. J’y trouve néanmoins une place et commande une tartiraclette (principe de la tartiflette, version raclette), une brioche perdue, et une bière des Pyrénées. Ces calories reprises, je ne m’attarde pas pour autant, et rejoins le chemin que j’ai quitté, le redescends puis bifurque vers la vallée menant au col d’Arizes.
Gros coup de mou, alors je m’étale en bord de chemin pour une pseudo sieste, tout en espionnant un lézard qui fait bronzette, et les tiges de grandes herbes ondulant doucement dans l’air. Je n’entends que les insectes et les cloches des vaches. Le temps s'arrête.
Longuement un milan royal arpente l’autre versant, scrute inlassablement, remonte parfois, avec cette grâce caractéristique de cerf-volant, qui lui vaut son nom anglais de “kite”. Les humains aussi parfois cherchent longuement : un trésor, quelques champignons, eux-même… La quête du milan lui procure-t-elle autant de plaisir ? autant de doute ?
Remis en route, je rejoins le sentier en direction du col, croise un troupeau de brebis qui descend, escorté par 6 personnes. La grimpette est longue, je sue généreusement. C’est progressif, doux et raide à la fois, et le soleil tape, sans un nuage pour l’adoucir. Le pic du Midi de Bigorre (2876m) héberge une station d’observation astronomique, et est relié par un téléphérique qui y achemine les touristes. Je fais semblant de ne pas voir ce sommet artificialisé et me concentre sur le reste du panorama.
Le relief change, finies les formes tranchantes et minérales, tout est de rondeur verte, jusqu’aux sommets qui dépassent les 2200 mètres. Quelques cours d’eau apportent un doux glouglou mélodieux des plus apaisants, seuls quelques oiseaux l’accompagnent, le reste est silence.
En me retournant je vois le relief parcouru. Lors d’une pause j’étudie la carte, ce qui me permet de repérer face à moi les cols et vallées empruntées les jours passés. Quel plaisir, d’autant plus quand je songe à la quantité de massifs me restant à explorer dans les Pyrénées, de quoi occuper une vie peut-être.
J’atteins le col, et sans surprise constate que de l’autre côté les formes s’affaissent, fondent vers la plaine. Les oscillations du dénivelé, comme de l'ascenseur émotionnel, vont à nouveau se rapprocher du 0. Avant cela, voici le temps d’un dernier bivouac. Un sommet avec une vue panoramique me paraît être une fin adéquate, direction la Montagnette (2235m).
Une fois arrivé, je fais mon brin de toilette, passe un coup de fil pour donner des nouvelles. L’ombre a déjà envahi les vallées mais, perché où je suis, j’aurai le soleil et sa chaleur jusqu’à la dernière goutte.
Je passe un certain moment à trouver un spot pour mettre la tente. Les zones de plat sur ce petit sommet sont rares, et il faut faire avec les quelques bouses et crottins de brebis séchés. Les sardines sont difficiles à enfoncer, car sous la mince couche d’herbe rapidement je trouve la roche. L’une d’elle se voit lestée de deux pierres massives, et je replie l’auvent de la tente d’un côté.
C’est l’heure de dîner, et ces veilles de ravito ou de fin de rando permettent chaque fois de cuisiner l’esprit léger et sans questionnement, il suffit de manger tout ce qu’il reste ! La fin des spaghettis baigne dans une soupe à la tomate, accompagnée d’olives vertes, de dés de fromage, et j'agrémente le tout avec du pain (du restau de ce midi), la fin des krisprolls et des crackers.
Le soleil lentement passe derrière l’horizon, où dépassent les sommets du Béarn. Instant de magie, quand tout autour est ombre, et que perché sur un îlot aux reflets rougeoyants, tu te fais lentement engloutir à ton tour. Je dîne en surplombant la vallée désormais sombre qui s’ouvre au nord, où quelques lacs jouent les miroirs et reflètent le ciel délavé.
Peu à peu, dans la plaine les villes comment à scintiller. J’ai peu de fois assisté à ce spectacle magique, et je réalise qu’il y a exactement 2 mois jour pour jour je m’apprêtais à traverser le Vercors, en la douce compagnie d’Emeline, la nuit nous avait rejoint et nous surplombions Grenoble illuminée. (journal de cette aventure)
Il fait environ 1°C au thermomètre, je suis en chaussettes dans mes sandales. Le peu de vent et l’absence d’humidité rendent le froid très supportable, alors je reste un moment à profiter, avant de rentrer m’allonger et avancer l’écriture du journal.
La nuit est la meilleure de la semaine (hôtel compris), je me réveille peu, n’ai pas besoin de la couverture de survie.
Lac des Gréziolles > courbe de niveau suivi avant la cabane de Barrassé > La Mongie (demi-tour) > col d’Arizes > la Montagnette
16.5 km 1145 D+ 1050 D-
💡 A refaire, le matin je passerai par la Hourquette-Médette, un itinéraire qui semble plus stimulant.