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J’ai mis un réveil à 6h. Lorsque je sors de la tente, je tombe sur un bouquetin à quelques mètres. Magique. Il broute tranquillement. L'habitude de la foule dans ce secteur a l’air de les avoir désinhibés.

Avec ce réveil matinal, j'essaie de jouer sur les deux tableaux, être malin et marcher au frais, mais lambiner suffisamment pour laisser Émeline partir devant et prendre l’espace qu’elle souhaite. Celle-ci semble néanmoins agréablement surprise que j’ai mis un réveil.

Trou, petit dèj, pliage du camp, nouvel observation du bouquetin qui vit sa vie tranquille non loin. Je refais un plein à la source, rejoins le tracé, et avance.

Morning lights, here we go again !<br>
Morning lights, here we go again !
What else?<br>
What else?

La lumière est très belle et mon sac couine. Je finis par à moitié détacher le châssis, maintenu par des scratchs, c’est mieux. Émeline n’est pas allée très loin et semble de bonne humeur. Le relief ondule.

Nous discutons, nous trompons de chemin. Un miracle se produit alors, la langue d’Émeline se délie davantage, et ça me fait un bien fou. Enfin je la sens moins dans la retenue, un poids tombe !

Au bout de 2 km nous réalisons que nous ne sommes pas sur le bon chemin. N'utilisant qu’un téléphone pour deux, c’est un peu de ma faute, ou celle des discussions qui happent. Pas de déviation possible, nous refaisons le chemin en sens inverse, apercevant deux cerfs passer au loin. L’herbe pleine de rosée a bien trempé nos baskets. Émeline finit pieds nus et moi en sandales.

Le décor est un peu grandiose, le plateau est très large, on n’y voit personne. Le Mont Aiguille ressemble à une dent de géant égarée, plantée là façon paysage américain. En s’élevant sur le dernier chemin raide de cette aventure, la perspective change, et une pause s’impose. Elle devait durer 5 minutes, qui se transforment en 30. On baffre quelques barres, faisons sécher les chaussures.

Un homme arrive, sac imposant, pas très bien réglé. Bâton en bois à la main, sandales aux pieds, sourire rivé au visage, on discute un petit moment avec lui. Il est émerveillé, et dégage une grande joie douce, qui m’émeut un peu. Nous observons tous les trois les vautours s’élever dans les airs au loin.

Petite Émeline s'extrayant d'un plateau aussi grand que désert<br>
Petite Émeline s'extrayant d'un plateau aussi grand que désert

Un peu plus tard nous repartons. La côte est toujours aussi raide, et il en reste un bon morceau. La chaîne des Alpes émerge en même temps que le Mont Aiguille rapetisse.

C’est un petit Eden là-haut, mais l’ombre est rare. Les Edelweiss deviennent aussi communes que des pissenlits !

Mon ventre grogne depuis un petit moment, on se pose sous un arbre. Effet de la chaleur ? J’ai faim mais pas envie de manger grand-chose. Émeline semble dans le même état, alors on se contente de fruits secs, de crackers.

Je sens depuis un petit moment que la marmite tremble, le bouillon s’agite, semble prêt à déborder à n’importe quel instant. Je retiens mes larmes de mon mieux. La fin de l’aventure se rapproche, et d’une certaine façon ça fait mal. La page est dure à tourner. Je sens qu’Émeline n’est pas prête à redescendre non plus, ses yeux s’embuent. Nous craquons, un peu timidement, chacun de notre côté. Nous n’arrivons pas à redécoller.

C’est avec un peu de recul que j’ai réalisé la beauté incroyable de cet instant, j’en reste assez stupéfait, et marqué, probablement à jamais.

Émeline est forte, lance le signal du départ. C’est reparti.

Nous déambulons encore deux heures avant de rejoindre le secteur de la cabane de Châtillon. Le soleil est brutal, l’ombre rare. Les vues sur les montagnes sont épatantes, mais la lumière dure est peu favorable aux photos. Un patou nous incite verbalement à nous écarter momentanément du chemin.

En prenant de l'altitude, la perspective sur le relief alentour change et époustoufle<br>
En prenant de l'altitude, la perspective sur le relief alentour change et époustoufle

Une dernière source, Baume Rousse, se trouve avant la grande descente de 1200m de dénivelé négatif qui mène à Châtillon-en-Diois. Je suis un duo qui y va, ressemblant à un père et sa fille. La source est aménagée en un petit réservoir bétonné, avec une trappe d’accès sur le devant. Le père me fout la trouille en me disant qu’il n’y a quasiment rien. Son filtre avec tuyau déporté permet néanmoins de lentement pomper l’eau. Il faut pour cela s’y prendre à deux : une main qui positionne bien l’extrémité du tuyau, une main qui tient le réceptacle, une main qui pompe.

J’abuse de leur générosité, récupérant un litre et demi pour Émeline et moi, nous assurant de quoi descendre sans manque. Je leur raconte la mésaventure du duo belge que nous avons aidé, en conséquence ils se retrouvent ainsi les prochains sur la liste pour un retour de karma bienveillant.

La descente est raide, parfois un peu glissante, mais comme il n’y a pas de marches mes genoux tiennent bien le coup. Émeline morfle un peu plus. Nous discutons rapidement avec une fille assise en bord de chemin, paire de jumelles autour du cou. Elle accompagne sa famille, et nous nous rendrons compte qu’elle a une sacrée avance et peut attendre encore un moment.

Lorsque nous croisons une piste, après une petite étude de la carte je propose à Émeline de l’emprunter, ça étale le dénivelé restant sur 5,5 km au lieu de 3. Marcher sur la piste est soudain facile, le pas s’allonge. Je remarque que mes bras sont couleur merguez, et que le soleil y est un peu douloureux, ouille !

Pause en bord de piste, nous savons que c’est la dernière, la faisons traîner un peu, s’amusant des quelques insectes qui nous parcourent, de notre “hiker tan” aux chevilles. J’appelle pas mal de fois le camping municipal avant de réussir à les avoir en ligne, nous assurant une place pour ce soir. L’heure de fermeture de la boulangerie et de la pharmacie (pour mes bras) approchant, un nouvel élan nous porte.

Hiker tan (bronzage du marcheur)
Hiker tan (bronzage du marcheur)
Copains.ines improvisé.e.s<br>
Copains.ines improvisé.e.s

Nous mixons piste et chemin à nouveau, pour réduire le temps de trajet. Juste avant d’arriver en ville, nous passons par-dessus un petit cours d’eau clair. Quand on s’est habitué à ne voir qu’un maigre filet une ou deux fois par jour, cette vision est incroyable, idyllique. Je me mouille les bras, la tête, la nuque, filtre et bois de cette eau bien fraîche. Émeline en profite aussi, un peu plus haut.

Un local sympathique tape la discute. Nous repartons.

Arrêt à la pharmacie, puis à la boulangerie, qui a alimenté certains délires les jours passés, mais nous n’achetons quasiment rien !! Nous craquons à un stand de glace et, traversant le camping, trouvons une place au bord du Bès, la petite rivière locale, pour savourer nos boules aussi fraîches que l'eau. Je ne résiste pas à glisser mes pieds dans le flot calme, avance au milieu du cours, jusqu’au petit saut, savourant la douceur des formes de l’eau, la caresse de son flux sous mes mains. Émeline sourit du spectacle.

Nous nous mettons en quête de notre emplacement de camping. Nos ombres sont étirées, marchent l’une contre l’autre, résumant d’une certaine façon ces derniers jours.

Nous montons le camp, allons nous laver. La douche est froide pour moi, ressemblant au final à une de ces toilettes de chat de bivouac. Émeline, mieux informée, aura droit à du tiède/chaud. Je lave un peu de linge, échangeant en même temps avec un scout bavard, voisin d’emplacement et assez fan de nos tentes.

Un peu plus tard, François surgit, et nous papotons avec plaisir. Il nous apprend qu'entre-temps il a rencontré un flamand qui avait perdu son frère, et que le lendemain matin il a croisé le frère en question, cherchant lui aussi son binôme !

Nous allons dîner en ville, au seul endroit qui nous accepte, faute de timing. Un seul plat au menu : des raviolis au citron, très bons. Dessert et bière font plaisir également. Le bar en face accueille un groupe de musiciens qui égaient la place. Il n’y a pas énormément de spectateurs, mais l’ambiance chaleureuse de ce petit village est agréable. Je regrette que le groupe range ses instruments avant que nous ne sortions de table, j’y aurais bien fait un after, le temps d’un deuxième verre, et d’une petite danse pour libérer le corps de ses tensions.

Nous baillons aux corneilles, rentrons au camping, souhaitons bonne nuit à François qui va dormir dans une petite cabane. Émeline semble soudainement réveillée lorsqu’elle me refourgue un énorme crapaud dans ma tente, la gredine !

Je vais me brosser les dents, et au retour m'assois près du tarp d’Émeline, le temps d’un échange tranquille. Elle semble apaisée, je la sens souriante bien que son visage soit dans la pénombre. Elle se confie sur un problème familial, et je comprends que ce fût une des ombres qu'elle porta ces derniers jours. Le bouillon d’émotions s’est apaisé, pourtant en nous restent des questions.

42 888 pas / 32,6 km (tracé 27,3 km) / 830m D+ / 1 875m D-