Après chaque nuit où je suis si bien hébergé, je mets du temps à décoller. En milieu de matinée je suis en train de quitter le parc naturel Paklenica, ce qui se traduit par une bonne descente vers une plaine étendue. Criquets, sauterelles, grillons, y semblent logés par millions. Leur taille est généreuse et ils chantent tout leur saoul, encouragés par la chaleur déjà insistante. Des femelles grillons énormes, parfois exposées au milieu du chemin, attendent que des mâles viennent les féconder.
Je rejoins une piste de terre rouge, où l'ombre est rare. Aujourd'hui j'ai encore une petite inquiétude concernant l'eau, il me faut trouver le refuge Zlatino, simple container d'après les informations que je possède. À part ça je ne sais rien d'autre concernant l'eau sur une tranche de 40 kilomètres. Tout est sec, grillé, l'herbe croustille sous les chaussures.
Après un moment d’incertitude grandissante, je suis rassuré de trouver des réservoirs enfouis, l'eau y est abondante et froide ! En remplissant mon chapeau comme un seau puis en le posant sur ma tête, je passe d'un extrême à l'autre (ce qui n'est sans doute pas recommandé), enfin je vais m'installer à l'ombre d'un des rares arbres, près du refuge, laissant les heures les plus chaudes passer pendant que le filtre à eau fait son travail.
L'état de mes pieds ne s'améliore pas. Les orteils sont assez sensibles et ont pris des formes anguleuses qui virent parfois à l'ampoule. Mettre deux paires de chaussettes pour réduire les frottements a réduit l'espace alloué à mes pieds, qui semblent maintenant un peu trop comprimés.
Après avoir déjeuné et fait une sieste, lorsque de minces nuages atténuent les rayons solaires, je bondis sur l'occasion pour me remettre en piste. Le décor est bien moins monotone qu'il n’en avait l'air depuis les hauteurs de Paklenica. Il est même assez photogénique. Les arbres ont trouvé refuge là où le karst s'est affaissé. Les sommets, peu élevés, ne sont que pierres et rares arbrisseaux. L'herbe est jaune, grillée. Quelques ruines et maisons secondaires sont disséminées le long de la piste.
Ma volonté d'avancer malgré l'état de mes pieds me fait évincer Tulove grede. Ma curiosité provoque des arrêts réguliers : fleurs, oiseaux, roches, plaques funéraires et mémoriaux de plus en plus nombreux. Curieux cocktail. Difficile encore une fois d'imaginer qu'une guerre eut lieu ici. Pourtant aucun doute n'est permis face à la quantité de panneaux prévenant de la présence de mines.
Je cherche un nouveau lieu de bivouac et finis par m'installer à proximité d'une friche, qui contient également un réservoir d'eau. Un camion passe, les hommes me saluent de la main en klaxonnant. Ma présence ne semble pas les perturber, tant mieux. J'y passe une soirée bien agréable, reposant mes pieds et mon dos fatigués.
18,9km +605m -850m