Je me réveille dans un cadre idyllique, séduit par une belle lumière, au cœur d’un milieu qui semble vierge. Probablement ai-je traîné pour ranger mes affaires, absolument pas pressé d’en finir. Il n’y a même pas deux heures de marche pour rejoindre une route au niveau d’un col, de là j’ai prévu de me faire emmener à Mostar, 5ème plus grande ville du pays et assurément l’une des plus touristiques. Je prévois d’y rester deux jours afin de me balader et me faire plaisir (douche, puis nourriture à outrance), enfin de là je compte trouver un moyen de transport pour me ramener en Croatie.
Sur la carte Jim a repéré un hôtel au niveau du col, et il a bon espoir que nous puissions y prendre un petit-déjeuner. Dès qu’on évoque la nourriture, l’allure accélère naturellement. Il se trouve que le cadre est assez ombragé, vert, fleuri. Les molènes et épilobes occupent parfois densément un bout de terrain, plaisir des yeux. Nous empruntons néanmoins majoritairement de la piste, et à cela s’ajoute ce sentiment habituel lorsque l’on descend de montagne, qui est qu’au fil des kilomètres le cadre semble devenir de plus en plus “banal”.
Je laisse mon bâton en bois contre un arbre. Quelques centaines de kilomètres ensemble, deux séances à tailler ses aspérités, plusieurs centaines d'heures lové au creux de ma main, témoin silencieux de mes aventures. "Allez Guillaume, ne fais pas ton sentimental pour un morceau de bois." me dis-je, j'espère qu'il servira à quelqu'un d'autre.
Jim a vu juste, posés à la terrasse d’un bel hôtel nous dégustons tartines, confiture, thé… l’occasion d’un nouvel aurevoir. Nous rions quand je le préviens qu’il ne s’attende pas cette fois à me recroiser deux jours plus tard !
Avec un pincement, nos chemins se séparent, et guettant le passage de voitures je remonte doucement vers le col via le ruban d’asphalte.
Sur le papier, oui ça y est, c’est la fin.
'This is the end', chanta un autre Jim.
La suite du récit concerne le trajet retour, via Mostar, Split, la côte croate, une nouvelle traversée du parc Sjeverni Velebit à pied... Tu peux aussi sauter directement au dernier chapitre de conclusion. Bref, comme moi tu es libre.
Petit problème, il n’y a quasi aucune circulation, et les rares voitures qui passent m’ignorent royalement, même un taxi vide ! Je crois comprendre que ma dégaine ne les rassure pas, peut-être me prennent-ils pour un migrant.
Je continue néanmoins à avancer, redescendant vers Mostar. En pratique je pourrais faire ce trajet à pied, mais d’une, ça me prendrait la journée, de deux, je hais le goudron. Je coupe quelques lacets, dévalant des pentes assez raides. Non, franchement je ne me vois pas continuer comme ça.
Une nouvelle voiture arrive, je ravale ma fierté et troque le pouce en l’air contre les mains en signe de prière. Ça a marché ! Un bonhomme sympa m’accueille dans sa petite citadine. Je lui fais comprendre ma destination et à son tour il m’explique qu’il peut me rapprocher seulement. Je prends. J’essaie de discuter, en réalité je suis curieux, mais la barrière de la langue à nouveau rend la chose difficile, et comme il conduit je ne peux pas lui montrer des traductions sur mon téléphone, ainsi c’est un échange un peu limité et frustrant. Au moins mes tentatives de prononciation l'amuse.
Il me dépose dans une zone résidentielle. Les maisons sont plutôt jolies même si des impacts crèvent encore parfois le crépis. Je fais un bout à pied, la chaleur est écrasante et je marche le long d’une route passante. Je tente un peu de stop à nouveau, sans trop de conviction ni de résultat. Il n’y a même pas vraiment d’endroit pour qu’une voiture s’arrête. Arrivé à une station service, je demande au caissier de m’appeler un taxi.
Entre temps, je fouine sur le site Booking et déniche une guesthouse très proche du centre et pas très chère. On m’a confirmé que je pouvais m’y présenter dès le début d’après-midi. Une fois douché et un peu de linge lavé j’explore la ville, mange une pizza, me fait tailler les cheveux et la barbe chez un barbier, puis savoure une bière fraîche à une terrasse au bord de la rivière. De mon siège je vois les plongeurs s'élancer du haut du “vieux pont”, Stari Most en langue locale.
La Bosnie-Herzégovine est réputée pour son multiculturalisme. Les habitants du pays sont tous appelés “bosniens” officiellement, mais on y remarque ces populations et influences majoritaires : les bosniaques (musulmans), les croates (chrétiens catholiques), les serbes (chrétiens orthodoxes).
Si je te raconte ça, c’est parce que le vieux pont de Mostar, en reliant différentes parties de la ville, reliait aussi différentes cultures, alors lorsqu’il fut détruit en 1993 pendant la guerre, ce fut tout un symbole.
Dix ans plus tard, le pont fut reconstruit selon les techniques originelles et classé à l’UNESCO. La tradition de plonger depuis le pont remonte à 1968, c’est un des rendez-vous des touristes, qui viennent voir les locaux se jeter dans le vide.
J’ai trouvé chez une sorte de caviste une bouteille à offrir à Juljana et Mile, qui gardent ma moto en Croatie. J’ai savouré les chants des muezzins (appel à la prière) dont je suis incapable de me lasser, fait trois ou quatre fois le tour du centre-ville, l’ai vu sous la lumière dure de l’après-midi, puis celle des lampadaires, mais la réalité c’est que je tourne vite en rond. J’ai du mal à m’intégrer dans cette foule de touristes très insouciante, aussi bruyante qu’impeccablement propre. Je décide de quitter Mostar dès le lendemain matin.
8,75km +230 -675
+ 3,2km +10 -30