Je me réveille à 6h mais, trop ensuqué, me rendors. Au sortir de la tente, la vue reste réjouissante, la plaine légèrement embrumée fait ressortir les montagnes en face. Premier objectif : faire quelques courses. Une vérification des points d'eau me confirme qu'il va falloir être vigilant. Je pourrais faire d'une pierre deux coups en achetant une bouteille d'eau mais je préfère passer du temps à en filtrer plutôt que de générer un déchet. En parlant de poubelles, prévoyant la présence d’une benne près du supermarché, je n’hésite pas à ramasser les paquets de cigarettes, bouteilles en plastique, canettes que je trouve en chemin.
La vue surplombante révèle une vaste plaine constituée d’une mosaïque de prairies à différents stades, parfois le foin est au sol et sèche, quand il n'est pas déjà en botte. Cet endroit se nomme Duvanjsko polje.
Poljé : Dépression fermée d'origine karstique, de grandes dimensions, à fond plat et à bordures escarpées.
Lors de fortes pluies, près du tiers de cette vaste plaine peut-être inondé. Cette situation, associée au terrain environnant, a favorisé l'apparition de plantes et d'animaux que l'on trouve à peu d'autres endroits dans les Balkans.
Je distingue des villages à l'autre extrémité. En France une telle surface joliment champêtre se serait déjà vue greffée de voies rapides, plombée d’une zone commerciale. La course au développement amène son lot de dégradations irréversibles. “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme” disait Rabelais. J’envie ce bout de terre d’avoir été épargné par l'agriculture intensive, qui a rendu nos sols stériles, pollué nos cours d'eau, décimé les insectes et par conséquence les oiseaux. Rien de tout cela ici, je laisse volontiers la place de premier de cordée et emprunte guilleret quelques rues du village de Mrkodol (un nom qui parait imprononçable).
Les maisons sont bien entretenues, je ne vois quasi aucun bâtiment à l'abandon. Les jardins sont beaux également, il y a des potagers, quelques poules traversent la route. Je me régale de cette belle lumière matinale et de la façon dont les gens répondent avec enthousiasme et sourire à mes "Dober dan !". Le sentiment de bien-être et de gratitude me rend un peu fébrile.
À la supérette j'arrive presque à être raisonnable. J'y venais pour 4 articles et en ressors avec 8 (pour 10 marks, soit 5 €). Je transvase ce que je peux, me débarrasse des emballages, vide ma poubelle, et repars. Encore quelques saluts en route, un jeune homme me gratifie même d'un pouce en l'air. Me revient également à l'esprit la blonde à l'office de tourisme de Knin, il est amusant que le simple fait de marcher avec un sac volumineux suffise à s'attirer la sympathie.
Je finis par bifurquer et me retrouve au milieu des prairies, j'y vois à nouveau des potagers, parfois accompagnés d'une superficie équivalente de jachère fleurie. Ici les atouts qu'apportent la biodiversité ne sont plus à démontrer ! Arrivé à Omolje je remarque des panneaux de balisage pédestre, le symbole de la Via Dinarica y est présent, ainsi qu'un flashcode qui ouvre directement la page web sur la section en cours. Chapeau !
Le chemin grimpe ensuite en direction de deux sommets à 1380m, dont Orla kuk qui surplombe toute la plaine. Le balisage hélas n'empêche pas un détour qui se finit en traversée de buissons, un genou morfle en évitant une gamelle. Les fraises sauvages adoucissent l’épreuve. Passé le premier sommet, où je capture quelques panoramas, je m'installe non loin, dans un creux à l'ombre d'un arbre où j'aplatis les hautes herbes.
À chaque pause déjeuner, j'ai peu de choses à faire impérativement, mais avoir ces réflexes est encore un travail en cours malgré 3 semaines de marche. Il me faut :
Je lambine ensuite allongé sur le dos, avance le journal, mange simplement, observe la diversité d'insectes qui vaquent à leurs occupations dans les herbes et sur moi. Lorsque je repars, en secouant mes chaussures pour enlever les graines et brins d'herbes accumulés, je remarque un gros carabe noir. On pourrait croire que l'odeur l'aurait shooté mais il tient bon, s'accroche et je passe un moment à l'en sortir.
Ma poche à eau est vide, il me faut rapidement trouver de quoi la remplir, ça tombe bien ce matin j'ai repéré les points d'eau sur la carte. Je redescends vers les 3 points d'intérêt indiquant des sources sur ma carte, je les vérifie les uns après les autres mais tous sont secs ! Une bien mauvaise surprise. Sur le tracé, je vois que 12 kilomètres plus loin se trouve un "intermittent well" (puits non permanent), c'est jouable mais me paraît doublement risqué. Le choix raisonnable est de descendre au village de Kongora, avant de traverser la plaine pour rejoindre le refuge près du Vranić.
La carte n'indique pas de chemin mais en réalité je trouve la trace d'une piste. Au cours de la descente, le niveau de frustration augmente d'un cran lorsque je croise une dalle en béton sous laquelle j'entends le clapotis de l'eau, hélas son épais et lourd couvercle rend l'accès au limpide liquide impossible ! Je poursuis et à mi-chemin rencontre un filet d'eau. Encore une fois un choix s'impose, filtrer ici et remonter ou continuer à descendre confiant de trouver de l'eau au village. J'opte pour la deuxième option.
Le village est calme, je salue quelques personnes étonnées de me voir. M'étant écarté de la Via Dinarica, les villageois doivent être moins habitués à ce genre de dégaine. Néanmoins, ils sont cordiaux et curieux. Les femmes sont souvent vêtues de noire, un voile sur les cheveux, une croix autour du cou, principalement les aînées. Je ne vois pas de réservoir d'eau non cadenassé, je songe à demander de la "voda" (eau) aux habitants.
En continuant un peu, j'ai la surprise de trouver une épicerie qui n'est indiquée sur aucune carte, j'y vois un salut, pose mon bardas avant d'entrer. La femme est sympathique mais ne parle pas anglais. J'arrive à me faire comprendre, et à son tour elle me révèle que tous les points d'eaux naturels sont asséchés. Je lui demande si elle a de l'eau, lorsqu'elle mime de se laver les mains je nie de la tête et mime à mon tour le fait de boire, alors elle m'oriente vers l'étagère réfrigérée où seule 2 bouteilles d'un demi-litre sont là. Je finis par les prendre ainsi qu'une grande bouteille d'eau gazeuse et un demi-litre d'eau vitaminée, et en guise de remontant une savoureuse glace !
Dans la poche à eau, je vide la bouteille d'eau gazeuse et la petite bouteille que je n'ai pas encore descendue. Si le prochain point d'eau sur la carte est à sec, je n'aurais d'autre choix que de tourner le dos à la crête prévue pour le lendemain. Techniquement, j'arpente à nouveau le Duvanjsko polje, plaine parfaitement plate, où je constate qu'en effet les cours d'eau ne sont plus que sable et cailloux poussiéreux.
Plus loin, tentant ma chance avec l'habituelle astuce du cimetière qui marche si bien en France (sauf l'hiver), je prends une nouvelle déconvenue. J'accélère alors un peu le pas sur une large piste caillouteuse pour rejoindre le refuge qui ne se trouve plus qu'à 6 kilomètres.
J'y croise un troupeau de moutons et de chèvres, assez photogénique avec la lumière qui s'est adoucie. C'est seulement après que je remarque la bergère qui s'est figée, je la salue mais elle ne moufte pas, alors pour ne pas l'effrayer davantage et, encouragé par les aboiements de son petit roquet, je remets un pied devant l'autre.
Maintenant entouré d'une forêt de pins où quelques feuillus se fondent dans la masse, ayant retenu la leçon, j'écoute mon corps fatigué, et m'arrête dès que je trouve un espace suffisant pour y poser la tente.
Je termine la journée sur un apprentissage : mettre de l'eau gazeuse dans une poche à eau est une mauvaise idée. En marchant celle-ci est secouée, lorsque je vide mon sac à dos je découvre ma poche à eau gonflée comme un ballon. En soit pas de drame tant que la poche est résistante mais vigilance !
Merci aux sympathiques habitants croisés en chemin pour leur bonne humeur !
21,7km +760 -675