Vadrouilles Attentives

19 juillet

Réveillé à 6 heures comme j'en ai maintenant l'habitude, je ressens rapidement le froid et l'humidité, là au pied de la montagne. Je déjeune rapidement, plie la tente à moitié trempée de rosée et de condensation, et m'engage sur la piste forestière. Tout comme le soleil et la chaleur, je grimpe. Je sélectionne l'album "Echo moutain" de K's choice pour me donner de l'entrain. Quelques voitures passent, signe confirmant le propos de Ris qui me disait que les montagnes de Bosnie-Herzégovine ne sont pas aussi dépeuplées que celles de Croatie.

J'atteins la zone du point d'eau, repère sa direction, et rapidement je vois à nouveau une silhouette chargée d'un grand sac à dos et équipée de 2 bâtons. Nous nous faisons signe de loin, et nous rejoignons. J'ai deviné qu'il s'agissait de Jim, l'américain croisé 2 jours auparavant. Il vient du point d'eau, m'informe qu'elle est bien fraîche et ne nécessite pas de filtrage, que demander de plus ?

Je ne prends que deux litres, pensant à l'ascension qui nous attend, puis nous continuons côte à côte, passant une ou deux maisons où les enfants nous sourient. Nous progressons dans les bois, n'étant plus habitués à ce biotope cela nous ravit. Manquant une bifurcation, c'est de façon plus raide que nous mettons ¾ d'heure à rattraper la Via Dinarica en hors-piste. Jim, qui a commencé depuis la Slovénie, est plus qu'habitué à ce genre de surprise, et sans doute un peu lassé, mais le moral est bon.

L'aventure, cette machine à fabriquer des souvenirs.
L'aventure, cette machine à fabriquer des souvenirs.
La récompense visuelle est d'autant plus savourée qu'elle nous fait transpirer pour l'atteindre.
La récompense visuelle est d'autant plus savourée qu'elle nous fait transpirer pour l'atteindre.

Les vues sont déjà impressionnantes. Mon allure semble plus rapide que la sienne, du fait de mon plus jeune âge et de mes grandes jambes, mais j'apprécie plutôt ce très léger frein moteur qui permet de davantage respecter mon corps. Nous atteignons les premiers sommets, à partir de là c'est quatre kilomètres de crête ondulante. Scrutant le décor, je repère une silhouette au loin, qui arrive en sens inverse, sac volumineux sur le dos.

Matthew et Iliana

Nous nous rejoignons sur un sommet intermédiaire. Il s'agit de Matthew, un australien parti d'Albanie, faisant le trajet vers le nord (NOBO, North-Bound, comme on dit dans le jargon). Nous discutons un moment avant d'être rejoints par Iliana, une jeune femme de 20 ans, originaire de République tchèque, partie seule depuis l'Albanie également. Quel courage !

Voyant ses jambes bien balafrées, je plaisante en lui demandant si par hasard elle n'aurait pas eu droit à "some serious bushwacking" (du hors-piste bien envahi de végétation), ce qu'elle confirme d'un rire repris par tous. Le parcours n'a en tout cas pas affaibli son esprit, un sourire radieux ne quitte pas son visage. L'occasion est parfaite pour se passer des tuyaux sur ce qui nous attend respectivement, mais aussi profiter de ce "via dinarica hikers rush hour" (heure de pointe sur la Via Dinarica) pour faire quelques clichés mémorables.

Contacts échangés, nous nous souhaitons le meilleur et chaque binôme continue dans la direction qui est sienne. Des nuages gris nous ont suivi, libérant quelques gouttes qui nous forcent à avorter le déjeuner craignant que ça ne dégénère rapidement. Nous atteignons le Vran, point culminant du jour, alors que le ciel gronde face à nous à l'est et au sud, libérant des rideaux gris sombres. Heureusement tous nous contournent, suivant les vallées.

Rencontre aussi inattendue qu'internationale sur un sommet en Bosnie-Herzégovine (France, USA, République tchèque, Australie)
Rencontre aussi inattendue qu'internationale sur un sommet en Bosnie-Herzégovine (France, USA, République tchèque, Australie)

Nous avons maintenant plus de 700 mètres de dénivelé raide à descendre d'une traite. La direction est indiquée grossièrement par du marquage assez régulier sur des pierres mais il n'y a point de chemin, cela éprouve pieds, chevilles, et genoux. L'herbe rendue un peu glissante par les quelques gouttes s'ajoute aux pierres qui roulent sous les pieds. Il nous reste à peine 5 kilomètres pour atterrir à l'objectif du jour donc nul besoin de se presser. Arrivés presqu'au terme de la descente, la pluie est maintenant plus soutenue, et pour la première fois depuis trois semaines, j'utilise ma tenue de pluie complète !

Vue sur le lac Blidinje à travers un rideau de pluie. L'orage approche, il est temps de descendre !
Vue sur le lac Blidinje à travers un rideau de pluie. L'orage approche, il est temps de descendre !

Arrivés à hauteur de la plaine, il est étonnamment bon de marcher sur un peu de piste. Un moment plus tard, le refuge du lac Blidinje se trouve devant nous, et c'est une sacrée déception. Il est totalement fermé, n'offrant que très peu d'abris face à la pluie, et en bord de route. Malgré la fatigue, le secteur de Masna Luka dont nous a parlé Matthew semble plus prometteur. Après avoir mangé un morceau, la pluie s'étant calmée nous repartons donc, et c'est même le soleil qui nous tient compagnie, marchant sur une longue piste où de toutes petites grenouilles vadrouillent.

Nous manquons une bifurcation, sans en être étonnés. Nous traversons alors une prairie jusqu'à une zone où un incendie a eu lieu, une pente ne présente que des squelettes de pins, quand d'autres de façon éparse ont viré à l'orange. Cela donne une impression d'automne. Rapidement, le chemin passe dans une cuvette en retrait, quelques maisons sont présentes et le calme y est absolu. Il rétrécit ensuite, toutes les plantes qui débordent sur le chemin douchent mes pieds de leurs gouttelettes accumulées…

Un chemin récent, absent sur la carte, semble se diriger vers la "mountain lodge", une sorte de gros refuge, à propos duquel j'avais cherché des informations sur internet un peu plus tôt sans succès. D'après l'application Outdoor Active, un étage est censé être terminé depuis deux ans, c'est maigre comme information. Un peu de curiosité et la possibilité d'une boisson fraîche nous poussent à aller voir.

Nous atterrissons dans une sorte de petit camping naturel, désert et plutôt charmant, et continuons jusqu'au bâtiment. Deux ans plus tard il est encore à moitié en travaux, et fermé, néanmoins une dépendance à l'écart est ouverte et abrite des toilettes, avec robinets d'eau potable et quelques prises, c'est déjà ça !

Nous lavons un peu de linge, faisons un brin de toilette, montons le camp. Deux véhicules finissent par arriver, leurs occupants pénètrent dans le bâtiment. Je vais m'adresser à eux, puis attends un moment avant que la personne qui parle un peu anglais soit trouvée. En conclusion, ils n'ont pas de boisson fraîche à vendre et nous pouvons camper gratuitement.

Profitant des planches accrochées entre des arbres, comme une sorte de bar, nous étalons nos affaires. Ça fait du bien de ne pas être accroupi parfois ! Lorsque je demande à Jim s'il sait comment étirer le muscle tibial (muscle le long du tibia) j'ai droit à une démonstration de yoga, que j'essaie de pratiquer en suivant l'exemple. Je ne sens pas trop l'effet sur le muscle, mais je vais apprécier que Jim fasse une séance de yoga matinale car ça me motivera en parallèle à effectuer mon qi gong (shibashi 18), que j'ai assez délaissé au cours de ce trek.

La démonstration est interrompue par le monsieur auquel j'ai parlé, à défaut de boisson fraîche il nous ramène une bouteille de vin blanc croate ! Son niveau en anglais est limité, il se débrouille mieux en allemand, mais c'est celui de Jim qui est cette fois limité, quant au mien il est inexistant. Nous réussissons quand même à nous comprendre et il nous fournit quelques informations sur le massif que nous allons parcourir dès le lendemain.

Terminer la journée en sirotant un verre de vin est inattendu et savoureux. Nous discutons longuement, l'occasion d'en savoir davantage sur Jim, les États-Unis, le Nouveau Mexique où il habite. Difficile de ne pas évoquer leur actuel président (Trump), et je suis rassuré d'apprendre qu'il ne le supporte pas.

Je ne sais pas comment il tient le coup, mais il ne mange vraiment pas grand-chose... je le remarque à mes dépens après qu'il ait proposé de cuisiner pour deux. Je compense avec des snacks qui malheureusement sont limités, et dévorerai les granolas le matin venu, ce qui m'amènera à n'avoir plus grand-chose d'autre que des pâtes, et à délirer sur les repas m'attendant à Jablanica, prochaine ville sur le parcours. Si je regarde le bon côté des choses, pour une fois, je peux me féliciter de ne pas avoir porté trop de nourriture.

Bivouac cosy vers Masna Luka
Bivouac cosy vers Masna Luka

Merci pour cette belle rencontre inattendue entre marcheurs intrépides, et encore une fois la générosité locale nous a régalée.

22,2km +1260 -1070