Vadrouilles Attentives

28 juin

Debout aux aurores, je grimpe aussitôt au sommet derrière le refuge, à savoir Vučjak, où d'intéressants panneaux éducatifs sur la météorologie jalonnent le court sentier. J’enchaîne ensuite avec le parcours botanique, qui circule autour d'une cuvette, appelée ici un "sinkhole" karstique.

Le karst est une roche calcaire, gĂ©nĂ©ralement sculptĂ©e par l'eau qu'elle laisse passer (cf Lapiaz). Le sol  ressemblant alors Ă  un gruyère cela peut gĂ©nĂ©rer des effondrements.

Je me régale de la balade botanique et prends des notes photographiques. Manquant le chemin pour le sommet Veliki Zavizan, je compense avec Veliki Pivčevac. Le tracé propose de petits détours vers quelques sommets, auxquels j'ajoute les miens : Crikvena, Krajačev kuk, Alančić…

Vue depuis un des multiples sommets bonus du jour, j'aurais tort de m'en priver !
Vue depuis un des multiples sommets bonus du jour, j'aurais tort de m'en priver !

Chaque fois que c'est possible, je laisse mon sac en bas, un peu dissimulé. Il est agréable de monter le corps léger mais aussi plus sage car ça vire parfois à la grimpette, aidée de barres ou câbles métalliques en support. Je traverse aussi des zones très rocheuses où la pierre ne peut laisser insensible tant elle est joliment sculptée !

Difficile de rester insensible devant ce karst si joliment érodé.
Difficile de rester insensible devant ce karst si joliment érodé.

Le chemin est très nivelé mais l'épaisse caillasse fatigue les pieds. J'arrive à l'heure de déjeuner à Rossijevo, le refuge que les gens d'Oltari m'avaient vendu comme "in the middle of wilderness" (au milieu de la nature sauvage). Il est vrai qu'il est isolé, et rustique aussi. Deux loirs peu farouches gambadent sur la charpente et les étagères sont constellées de leurs petites crottes. Une trappe donne accès à un réservoir d'eau. Il y a un poêle. L'essentiel y est. Je feuillette le carnet de passage avec curiosité et regrette de ne pouvoir y ajouter une ligne, faute de place.

Des loirs peu farouches
Des loirs peu farouches
Une belle variété de pays d'origine, une française est même passée par là 5 ans plus tôt.
Une belle variété de pays d'origine, une française est même passée par là 5 ans plus tôt.

Les céréales du soleil imbibant dans un ziploc depuis le matin se laissent manger tranquillement, quand soudain deux gars débarquent. La conversion se fait rapidement en anglais, ces deux messieurs un poil plus âgés que moi se nomment Ris et Filip, et sont des fous de spéléologie.

Nous sortons passer un moment à discuter au soleil, parlant de tout et rien, partageant les mêmes états d'esprit et goût pour la nature sauvage et respectée. Ils m'apprennent que cette région est l’une de celles où la densité de grottes est la plus importante au monde, certaines étant profondes de plus de 1000 mètres ! Un vrai gruyère en somme. Nombre d'entre elles restent encore à explorer, à découvrir, et ces deux-là semblent s'en donner à cœur joie, y séjournant parfois plusieurs jours, perdant totalement la notion du temps. Ils me vantent la pureté de l'air souterrain, et celle de l'eau.

Ris est sauveteur volontaire, dans les domaines montagne et spéléologie, il peut être appelé 24 heures sur 24, 365 jours par an, sans même toucher un salaire pour cette dévotion. “Admirable” est un faible mot, même s'il bénéficie en contrepartie de tout l'équipement qu'il souhaite. Il me parle du vent, des incroyables variations météorologiques pouvant avoir lieu ici, même en été. Je le questionne aussi sur divers sujets. Il s'assure que j'ai un kit de premiers secours complet. Ces deux gars sont des anges, sympathiques et très généreux puisque je repars du refuge plus chargé encore.

J'ai l'intérieur en proie à des vagues d'émotions tellement cet endroit me fait un effet fou, de par sa beauté, sa biodiversité, l'alternance des décors, la solitude combinée à de belles rencontres. La gratitude m'envahit et je sais déjà à ce moment que je me suis lancé dans la meilleure chose qui me soit arrivée.

Ris (à gauche) et Filip (au centre) sont mordus de spéléo, mais aussi super sympathiques et généreux !
Ris (à gauche) et Filip (au centre) sont mordus de spéléo, mais aussi super sympathiques et généreux !

En chemin, je vois un chamois, observe un loir dans son environnement naturel cette fois, crapahute encore vers deux sommets, je trace malgré le poids du sac, j’ai presque envie de courir, bourré d'une énergie joyeuse. J'ai dû en faire des kilomètres car j'arrive au refuge Alan 12 heures après être parti de Zavizan. Je demande où je peux faire un brin de toilette et la patronne m’indique un bidon équipé d'un robinet près de la route. Ceci fait, je discute ensuite avec un couple, venu en voiture chercher “l'air frais” des montagnes.

La patronne leur sert un repas et me demande si je suis intéressé, j'accepte volontiers et dîne d'une soupe aux légumes, accompagnée d'une grande saucisse, de pain et de moutarde. Les trois marcheurs croates que j'avais croisés la veille à Zavizan arrivent aussi, toujours aussi sympas. L'un d'eux va aussi faire un périple de 5 semaines cet été, le long de la côte nord de l'Espagne. Je partage la chambre avec la famille Damjanić-Babac, composée de Sandra, Alan, et leurs deux ados Maura et Josip.

Le dîner avec une grande bière fraîche, la nuit, et un thé me reviennent à 150 kunas, soit 20€.

Mille mercis à Ris et Filip, et au parc naturel Sjeverni Velebit pour m’en avoir mis autant plein les yeux.

26,2km +1090m -1350m