Vadrouilles Attentives

20 juillet

La nuit est glaciale, je suis réveillé à 1h30. J'ai mis toutes mes couches, bivy bag (sursac de couchage) et vêtements de pluie compris, mais je n'arrive pas à me rendormir. Vient ce problème psychologique que tout le monde connaît la nuit, d'autant plus quand on a froid, ma vessie a-t-elle vraiment besoin d'être vidée ? Me relever va être d'autant plus fâcheux que mon corps va perdre une bonne partie de sa chaleur, néanmoins, plutôt que de cogiter trois plombes, je préfère régler le problème rapidement. Cela ne m'aidera pas à me rendormir, pour ajouter à l'inconfort maintenant j'ai faim. Je vais passer le reste de la nuit emmitouflé à l'intérieur de mon sac de couchage, à rattraper le retard accumulé sur mon journal.

Levé avant 6 heures, le froid mordant est confirmé quand je vois que le contenu de mon petit flacon d'huile hydratante a durci. Je suis encore frigorifié et la perspective de mettre mes chaussures trempées ne m'enchante pas du tout. Mes vêtements lavés la veille sont encore humides. Je bénis le soleil lorsqu'il nous atteint enfin, et me console avec la rosée très photogénique à contre-jour.

Nous plions les tentes mouillées. J'enfile ma paire de chaussettes sèches à mes pieds, et encore un petit sac plastique par-dessus pour couper l'humidité et le froid des chaussures. Je sais que cette technique ne fonctionne qu'un temps limité, la chaussette finissant par être humide à cause de la transpiration du pied qui étouffe, mais ça permet déjà de décoller.

Le tracé passe près d'une église toute neuve, Crkva svetog Ilije, une fête s'y prépare. Nous manquons un embranchement, et au lieu de nous contenter de revenir 100 mètres sur nos pas, Jim propose de refaire une partie du chemin de la veille en sens inverse pour emprunter l'ancien parcours de la Via Dinarica qu'il a sur son téléphone. Cela rallonge et ajoute du dénivelé, mais après tout, nous sommes des touristes en vacances, non ?

Lors de l'ascension, nous rattrapons rapidement un groupe. On me laisse passer, et le diable au corps j'accélère davantage. Je suis néanmoins un peu inquiet. Sur ma carte je n'ai pas la bifurcation qui permet de rattraper le tracé actuel de la Via Dinarica. Si je vais trop loin la journée risque d'être compliquée, alors je finis par faire une pause. Quand Jim me rattrape, tente, chaussures, boxer et t-shirt sont étalés à sécher, et bien qu'il ne soit même pas encore 10 heures une plâtrée de pâtes a déjà été cuisinée et est prête à être dévorée. La dalle !

Aujourd'hui, j'attends le lever du soleil comme on attendrait un messie
Aujourd'hui, j'attends le lever du soleil comme on attendrait un messie
Pendant que timidement le soleil commence à chauffer, la rosée m'occupe de ses jeux photogéniques
Pendant que timidement le soleil commence à chauffer, la rosée m'occupe de ses jeux photogéniques
Ce matin le spectacle est grandiose.
Ce matin le spectacle est grandiose.

Avec plaisir, j'enfile mon unique sous-vêtement sec, mon t-shirt de randonnée, lui aussi sec, et nous repartons. Il nous faut maintenant redescendre pour récupérer la Via Dinarica, et la bifurcation est franchement difficile à trouver, nous faisons quelques aller-retours, car d'après la carte et la trace GPX (format numérique de partage d'itinéraires), nous ratons chaque fois le chemin. Las, nous finissons par passer en mode bushwacking, avançant à travers une végétation dense garnie d'épais pins qui ne se laissent pas faire.

C'est éprouvant, nous manquons de nous ramasser plusieurs fois, les chevilles et les genoux souffrent un peu, nous gardons un œil sur nos cartes et positions GPS pour rattraper le chemin, l'épreuve est franchement délicate. Cette séance mérite la deuxième position des bushwackings les plus pénibles ayant eu lieu au cours de ce mois d'aventure. Au bout d'un moment, Eurêka, mes pieds ont retrouvé un chemin digne de ce nom. Jim suit ma voix pour me rejoindre et nous continuons.

Les petits plateaux d'altitude me rappellent ceux que nous voyons dans les Alpes, les rhododendrons en moins, les pins en plus. Ça reste plutôt mignon et incite à la flânerie. Le chemin serpente, s'élève peu à peu. De larges renfoncements recèlent quelques restes de murs en pierre, alors que les parois rocheuses alentours semblent s'effriter comme du sable. La fonte des neige a dessiné quelques affluents sableux. Fatigue et ventre vide rendent une nouvelle grimpette harassante. Celle-ci enfin derrière nous, avec plaisir nous nous laissons tomber.

Les tentes sont étalées pour finir de sécher malgré le ciel devenu gris, pendant que, pieds nus, nous nous détendons en reprenant quelques forces (pâtes encore). La traversée du plateau ondulant que nous venons d'atteindre régale par sa quantité de fleurs. Nombreux sont les creux qui, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, renfermaient encore de l'eau, c'est là que l’on trouve les plantes dont le vert est le plus vif. Il nous faut encore endurer un sommet et quatre kilomètres à pied pour pouvoir faire le plein et se désaltérer, à la source se trouvant sous le refuge Vilinac. Le sommet en question n'est autre que Veliki Vilinac (2113m), sa vue panoramique est spectaculaire.

En descendant, nous recroisons le groupe de ce matin, arrivé là par un chemin plus direct et plus simple. Il y a foule (relative) en direction du sommet suivant, le Hajdučka vrata, et nous croisons également des groupes en sens inverse. Nous réalisons que nous sommes samedi, et apparemment tous les clubs de randonnées sont de sortie. La moyenne d'âge est néanmoins autour de la trentaine et ils sont bien cordiaux et souriants. Nous ne passons pas inaperçus pour autant.

Les randonneurs défilent encore par dizaines lorsque nous installons nos tentes près d'un petit lac, dont le contenu ne s'est miraculeusement pas échappé, on y pourrait attraper les têtards par poignées. Le trekking/backpacking semble très peu développé dans les Balkans, peut-être une question d'habitude, mais aussi une question de coût du matériel je pense (les taxes sur les produits importés étant très élevées). Nous voir camper à 1960 mètres d'altitude, proche du sommet, suscite une admiration qui se manifeste par des pouces en l'air, des saluts et sourires francs, ainsi qu'une pincée de regards appuyés de jeunes femmes visiblement impressionnées. Eux iront passer une soirée animée et dormir à l'abri, entre les murs d'un refuge plus bas.

Niveau montagne, la Bosnie-Herzégovine se révèle être un paradis !
Niveau montagne, la Bosnie-Herzégovine se révèle être un paradis !

Cherchant un peu de réseau, je continue plus haut, en tongs comme un gros touriste, je découvre quelques vues spectaculaires qui nous attendent demain. Nous mangeons ensuite (des pâtes pour changer), puis nous trouvons chacun de notre côté un point de vue pour regarder le soleil se coucher.

Pour être honnête, je n'avais pas prévu de m'arrêter si loin de Jablanica, la prochaine ville, car le dénivelé descendant qui nous attend le lendemain est plutôt monstrueux. Marcher à deux nécessite des compromis, comme ce détour matinal, ma liberté de mouvement est un peu plus limitée, d'autant plus que de l'aveu de Jim : 'Your pace is definitely faster than mine' ("Ton allure est plus rapide que la mienne."). Jamais je n'aurais pris le risque de camper à cette altitude, exposé au vent, au froid, avec mon duvet 10° qui a déjà montré ses limites, la première conséquence est de contempler le plus beau coucher de soleil que j'ai pu voir… honorant au passage une promesse faite à Tomislav au festival Mystic Mountain. La deuxième conséquence est de passer à nouveau une courte nuit à cause du froid.

Coucher de soleil grandiose pour terminer la journée
Coucher de soleil grandiose pour terminer la journée

18,3km +1485 -730