Quelle que soit la destination, partir en quasi-autonomie sur une longue durée est forcément très formateur. J'ai appris beaucoup, en particulier sur comment assurer son quotidien avec peu, mais l'aspect pratique n'est pas le plus intéressant.
Avant le départ, il y avait beaucoup d'inconnues, d'incertitude, des doutes concernant ce projet, mais après une aventure pareille je me suis senti fort, capable, j'avais confiance en moi.
Un pas après l'autre, tout est possible.
Cela rejoint cette pensée que j'aime bien qui dit : "On surestime ce que l'on peut réaliser à court terme, et on sous-estime ce que l'on peut accomplir à long terme". En une heure, tu ne marches pas bien loin non plus, pourtant en une semaine ou un mois, regarde où tes pieds t'ont porté ! Avec détermination et régularité, on peut aller loin. Et même si au premier abord, ce "loin" peut paraître extrêmement vague et flou, chaque pas supplémentaire va venir le clarifier petit à petit. Le plus grand acte de courage est souvent de faire ce premier pas.
Vivre cette philosophie la rend très concrète, indéniable, et je sais qu'elle peut s'appliquer à n'importe quel domaine.
Dans ce genre d'aventure à pied, le matériel semble aussi important que secondaire. Ce n'est pas lui qui fait l'aventure, pourtant quelle énergie investit-on à choisir et peser chaque objet. J'aime me rappeler qu'il s'agit là d'outils, d'un support, mais aucunement une fin en soi.
L'objectif ultime va être d'emmener le moins d'objets possible, mais qui vont répondre à un maximum d'usages. Le superflu est ennemi.
Par exemple un simple tour du cou léger (buff) me sert à protéger ma gorge des vents frais, peut aussi me protéger la tête du soleil, la nuit venue me sert de masque à yeux, ou une fois garni d'un ou deux vêtements me sert d'oreiller.
Cette simplicité rejoint mes convictions écologiques. A pied, mon seul besoin électrique est de charger mon téléphone, ma lampe frontale, un appareil photo à l'occasion. Mon seul besoin de combustible est pour faire chauffer mon dîner. Enfin, avec 5 ou 6 litres d'eau je tiens la journée, m'offrant de quoi boire, cuisiner, laver ma vaisselle, me laver le corps...
Si je reprends le cas de l'eau et le compare à une vie citadine : je me lève le matin, je vais pisser, je tire une petite chasse d'eau ; je suis levé depuis 2 minutes et j'ai déjà consommé plus qu'en 24 heures de randonnée, et pour quelle utilité ? Je n'ai pas bu de cette eau, je n'ai rien lavé avec, rien cuisiné.
Revenir dans une maison, pleine de meubles et d'étagères remplis, fut brutal. Je me sentais englouti sous cette montagne de superflu, comme si j'essayais de nager dans une piscine où flotte une myriade d'objets divers. La randonnée m'a au fil des années de plus en plus donné goût au minimalisme. Mon expérience m'a montré qu'en se contentant de peu, cela laisse de la place pour plein de belles choses positives, à commencer par, paradoxalement, plus de sérénité et moins de freins.
En voyage, l'accumulation d'objets répond souvent à des peurs. "Tiens, et s'il m'arrivait ça ? Je devrais peut-être prendre ça." D'où la fameuse maxime : "On porte nos peurs."
J'ai trouvé dans le minimalisme une libération, et j'aurais bien du mal à revenir en arrière.
Je suis un peu fâché avec la question "Alors ce retour à la vie normale ?" ou "Alors ce retour à la réalité ?". En marchant à travers la Croatie et la Bosnie-Herzégovine j'ai trouvé mon rythme, au fil des jours c'est devenu normal, c'était ma réalité. Ça n'avait rien d'un monde imaginaire, ou d'une bulle de douceur cotonneuse, où l'on errerait dans un état second. Le sol sous mes pieds ou la chaleur du soleil étaient 100% réels.
Je me suis rendu compte, en retrouvant le train-train quotidien, à quel point la vie était redevenue plate. Les surprises au cours de la journée sont infimes, pas de nouveau paysage, pas de nouvelle rencontre, aucune difficulté ou émerveillement particulier pour me surprendre. Je me sens surprotégé, pris dans un cocon de béton.
En étant lucide, je ne peux pas me plaindre de ce que j'ai. Combien de personnes sur terre rêvent d'un toit confortable, à l'écart du froid, des violences, où l'eau et la nourriture abondent ? Sois conscient de la chance que tu as !
Néanmoins, je ne me sens plus grandir, à voir les mêmes murs, les mêmes meubles, les mêmes rues, les mêmes visages, les mêmes expressions déjà vus des centaines de fois... C'est difficile de passer d'un état de découverte constante à une constante absence de découverte. L’encéphalogramme est soudain comme plat. Sans doute s'agit-il d'une forme d'addiction, et de la sensation de manque qui l'accompagne.
Il n'y a pas si longtemps, j'ai vu une vidéo qui abordait les mécanismes de la procrastination, et qui expliquait que l'on se motive souvent en s'agitant une carotte sous le nez, mais qu'après avoir obtenu la récompense s'en suivait une sensation de plat, de démotivation, dont on ne sortait qu'avec une nouvelle carotte, répétant ainsi le cycle. En 5 semaines de marche, les difficultés et récompenses ont été si innombrables, que peut-être faut-il à un moment payer le prix fort, encaisser fort cette "sensation de plat" accumulée pour toutes ces récompenses.
Au final qu'est-ce qui nous fait grandir ? J'aurais tendance à répondre : l'inconnu. Sortir de notre zone de confort nous impressionne, nous fait réfléchir, nous ouvre chaque fois un peu plus l'esprit.
Les pays traversés
Les pays de l'ex-Yougoslavie ont une histoire douloureuse et assez récente, il y a encore clairement des tensions entre certaines communautés, ainsi aborder certains sujets est délicat voire déconseillé.
Malgré ce contexte, je ne me suis jamais senti en insécurité, ou menacé. Certes, être un homme, blanc, la trentaine, grand, avec une expérience des sports de combat, me donne un sérieux avantage. Néanmoins, des femmes partent seules suivre la même aventure. Je recommanderai d'échanger avec EvaDinarica si besoin, car elle a beaucoup arpenté ces régions (cf Chapitre "Infos pratiques").
La barrière de la langue a été la chose la plus difficile pour moi, malgré cela j'ai fait beaucoup de rencontres formidables dès lors qu'une discussion en anglais était possible !
Enfin je n'ai eu aucun problème suite à des dénonciations/contrôles de police car j'éveillais les soupçons. Ceci est pourtant arrivé à plusieurs voyageurs. Je pense que l'attitude compte pour beaucoup. Être souriant, le regard transparent, positif, ouvert, sans jugement (merci les pratiques méditatives et les accords toltèques). Si la tente devait être visible, se présenter amicalement aux voisins pour expliquer ce qu'on fabrique là.
Pendant ce séjour dans les Balkans, je n'ai pas mis les pieds sur les réseaux sociaux. Je me suis contenté de partager avec mes proches des photos et extraits de ce journal.
Néanmoins quand tu écris, que tu prends des photos et que tu filmes, tu as des choses à raconter, que tu espères intéressantes. Et quand ton aventure te fait énormément grandir, tu as envie de crier aux autres : "Mais allez-y ! N'attendez surtout pas !", et tu as envie de les aider dans cette démarche.
Il m'a fallu des années avant de commencer à partager en ligne ce voyage. J'ai mis du cœur et du soin à l'ouvrage, en espérant qu'il puisse apporter autant de contenu pratique, que nourrir une envie d'évasion ou une réflexion.
Souvent le meilleur moyen de remédier au blues de retour de voyage, est de lâcher-prise, accepter que cette aventure est terminée, rien de plus simple pour cela que d'imaginer les prochains périples.
Une semaine plus tard, avec ma compagne nous étions dans le Cantal, pour plusieurs jours à pied sur le GR 400. Notre écart de niveau était amplifié par mon aventure, j'avais l'impression de ne pas avancer, et certains sommets débordaient de touristes. Psychologiquement il a fallu faire un gros travail. Gare aux grosses aventures, elles rendent exigeant.
Un mois plus tard, nous partions cette fois sur le Snowdonia Way, un sentier de randonnée qui traverse le parc naturel du même nom, au nord du Pays de Galles. Notre écart de rythme ne s'était pas arrangé, mais j'ai aimé retrouver un environnement beaucoup moins fréquenté, et plus exigeant (cette fois du fait de l'humidité et du froid).
Évidemment, après cette aventure je n'avais qu'une envie : revenir pour terminer la Via Dinarica, finissant ainsi la traversée de la Bosnie-Herzégovine, et découvrant une partie du Montenegro, du Kosovo, et un peu de l'Albanie.
L'année suivante, hélas, fut marquée par l'épidémie de COVID-19, les confinements, la fermeture des frontières. En 2021 la "situation sanitaire" ne s'était pas beaucoup améliorée, j'ai traversé ainsi une partie des Vosges à pied (PNR Vosges du Nord, 3 semaines), puis les Pyrénées de l'Atlantique à la Méditerranée (HRP, 6 semaines). En 2022, je suis retourné marcher au Pays Basque, puis, calmé par l'importante sécheresse, j'ai aménagé un van avec lequel j'ai sillonné la France pendant 1 mois.
En 2023 je prévois de traverser les Alpes à pied, mais qui sait si je n'aurais pas le temps pour un autre périple ?
Merci à Sarah pour la relecture intégrale de ce long journal. 🙂