Je plie bagage, termine la grimpette vers Vadičeva plan. Entre les branches je devine certaines vues côté terre qui ont l'air sublimes, affichant des plans de collines successifs dont la base se fond dans la brume. Au sommet, c'est côté mer que le panorama est dégagé.
Par contre, je vois sur les pierres ma première vipère ammodyte, facilement reconnaissable à sa corne et au damier qui recouvre son dos. Je l'avais identifiée comme danger n°1 au cours de ce périple. Il s'agit là du serpent le plus venimeux d'Europe. Redoutée des locaux, qui l'appellent "poskok", elle n'attaque qu’en légitime défense. Entre une couleuvre la veille en fin d'après-midi et une vipère maintenant, ça fait quand même pas mal de serpents à mon goût.
J’ai parcouru 10 kilomètres lors de la matinée, parfois avec difficulté. Le balisage est insuffisant pour empêcher quelques détours plus ou moins éprouvants, qui me font un peu regretter d'avoir ramassé autant de déchets. Depuis pas mal d'années, quand je me promène je ramasse les poubelles que je trouve en chemin, et je ne compte pas faire ici l'impasse sur cette bonne habitude. Le sac de collecte, suspendu à une bretelle, n’a de cesse de se prendre dans le maillage de branches à travers lequel je me fraie un chemin.
Je sue à grosses gouttes, bois et rebois, réalise pragmatiquement que le manque d'eau est plus critique que les serpents, d'autant plus que quasi toute ma nourriture implique son utilisation. Au cours d'une pause où je fais silencieusement l’inventaire des réserves, un pic se pose à quelques mètres seulement et se toilette. Captivé, mes sens sont en éveil, je redeviens présent et savoure le calme.
Après une dernière portion sous un soleil ardent, assoiffé, j'arrive à Oltari, où d'après mes notes se trouve un refuge. J'atteins celui-ci à peu près en même temps que ses 3 occupants qui reviennent de randonnée, un sympathique trio d'amis membres de longue date de l'association alpine. Une femme se débrouille suffisamment en anglais pour que nous puissions discuter, je glane quelques informations sur la portion à venir : le parc naturel Sjeverni Velebit. J'ai pu remplir mes 3 litres d'eau, ils m'ont offert une grande bière fraîche, et invité à utiliser la cuisine et m'y servir à ma guise, avant de finalement me proposer avec sourire et générosité de partager leur repas.
Au menu : soupe avec des morceaux de carottes et pommes de terre, puis arrivent en même temps salade et pâtes à la bolognaise. Ils nient avec le sourire toute possibilité que je me rende utile, tant pis pour la vaisselle, alors après de chaleureux remerciements je reprends ma route, où la chaleur est terrassante. Il faut venir à bout de plus de 600m de dénivelé ascendant, ça ne paraît pas si terrible malgré le poids du sac à dos, néanmoins la forêt que je traverse n'offre pas un poil d'air, c’est l’étuve ! Pour augmenter le coup de chaud, lors d’un petit détour j’aperçois deux empreintes d'ours !
L'entrée du parc Sjeverni Velebit atteinte, la sympathique jeune femme avec qui je discute au guichet m'annonce que la température va descendre les jours suivants, ce n’est pas de refus. Il m'en coûte 30 kunas (4 €) pour un ticket d’entrée dans le parc valable 3 jours. Une dernière section dans les bois enchanteurs, où le trajet est ponctué d'intéressants panneaux éducatifs, et j'arrive au refuge Zavizan, ancienne station météorologique.
Je savoure une bière fraîche locale et salvatrice face au paysage, à gauche la mer, en face les montagnes que je vais traverser. Deux suisses arrivent et engagent la discussion en anglais, surpris comme moi du peu de touristes dans ce secteur réputé. Nous découvrant un fort intérêt commun pour la botanique, une discussion riche s'anime nouant rapidement un lien.
Étonnamment, le refuge ne sert pas à manger, mais on est libre d'utiliser la cuisine pour préparer notre repas. La nuit me coûtera 100 kunas (environ 13,50€). Du monde arrive progressivement, y compris les gardes du parc national que j'entends joyeusement parler de rakija (l’alcool local), ainsi que trois randonneurs croates sympathiques. En discutant rapidement avec eux, j'apprends qu'ils sont sur un périple de quelques jours, le Premuzićeva trail. Malgré l'heure avancée ils s'apprêtent à partir pour le refuge suivant, néanmoins j'ai le temps d'avoir une démonstration de la carte interactive sur le site hps.hr, celle-ci affiche notamment tous les points d'eau ! Ne va pas croire qu’il y en a partout pour autant.
Après manger je fais un saut par Velika Kosa, l'incontournable colline en face, tout le monde s'y rend. Le panorama y est bluffant, teinté de rose par les dernières lueurs diurnes. De retour au refuge, prêt à me coucher, avec malheur et maladresse je renverse sur le sol ma plâtrée de graines de chia préparée pour le petit-déjeuner ! Par chance je suis seul dans une chambre de 4, aucun témoin de ma grosse bourde, que je passe un moment à nettoyer. Ce qui pique c’est que, pour limiter le poids que je porte, mon autonomie alimentaire est assez soigneusement calculée, je ne peux donc me permettre ce genre de boulette.
Merci aux personnes du refuge d'Oltari, au suisse amateur de botanique pour ces discussions inattendues, et à Patrick pour le lien et la démo de la carte interactive qui me sera bien utile du côté de Paklenica.
20,8km +945m -700m