En descendant au rez-de-chaussée, je croise un autre fils de Luca. Sa voiture est immatriculée en Allemagne où il vit depuis 4 ans. Il est en cours d'apprentissage de la langue anglaise mais cela permet enfin de discuter un petit peu. Cette région lui tient beaucoup à cœur, il me tend même un très épais ouvrage qui en détaille tous les aspects : culture, géographie, nature, histoire de chacun des villages, le tout agrémenté de photos et rédigé également en anglais.
Installé sur la terrasse, j'ai pour le petit-déjeuner des pitas, une des spécialités de Luca. Il s'agit de roulés aux épinards et d'autres à la pomme de terre. Bien que ce ne soit pas ce que j'ai l'habitude de manger à 7 heures du matin, je m'en régale. Immanquablement, elle me sert aussi un verre vitaminé.
Je remballe mon petit bazar, descends, paie 40 marks (soit 20 € pour 2 nuits, 2 petit-déjeuners, 1 diner, c'est ridicule on est d'accord), puis offre à Luca de choisir un de mes dessins. Elle est ravie et se lève aussitôt me chercher quelque-chose. Je les entends échanger brièvement et capte le mot "fran’ssouss", ils doivent se demander si c'est approprié pour un français, elle me tend une croix accrochée à un chapelet. Avec le sourire je décline. Disons que Dieu est trop grand pour tenir dans mon sac à dos… Heureusement elle ne se vexe aucunement.
Vient le moment que j'attendais depuis plusieurs jours, me voici de retour en piste, espérant que ni la cuisse ni le dos ne m'handicapent. L'ordre du jour est strict : y aller lentement, être intensément à l'écoute de ce qui a lieu dans mon corps. Pas pressé, j'en profite pour faire un premier détour par le hameau paisible de Podprivala, puis le tracé continue à grimper doucement jusqu'à ce que la vue se dégage sur une très large plaine.
Mon chemin reste pour l'instant en hauteur, et le soleil est vif au milieu du ciel bleu. En observant de près ma carte topographique, je devine que la large piste de cailloux blancs que mes pieds foulent a vu le jour récemment, rendant le tracé de la Via Dinarica bien monotone. À peu près personne n'y circule, pourtant des panneaux de signalisation routière sont présents.
Mon dos se fait un peu sentir, mais à force de lui faire essayer différentes inclinaisons, cambrures, et procéder à des ajustements des différentes sangles du sac, serrant davantage de manière générale et en plaçant plus de poids sur les épaules, la douleur reste gérable. Elle ira même en diminuant au cours de la journée.
Je fais des pauses plus régulières, m'étirant avant de m'allonger sur le dos. Au cours d'une petite sieste, tassé sous le peu d'ombre offerte par une aubépine rachitique, j'entends quelqu'un passer. Le bruit des cailloux, écrasés par un pas déterminé dont l'auteur semble chargé, me fait instantanément penser à un autre randonneur au long cours. Je me lève rapidement et guette, mais la vue n'est pas dégagée. N'entendant plus rien, j'hésite sur la direction, me demande si j'ai rêvé, alors je rejoins la piste pour en avoir le cœur net.
Déjà au loin, je vois une silhouette, sac à dos volumineux, bâtons de marche, dont l'allure montre qu'il/elle est aussi pressé.e de retrouver du chemin à dimension humaine. Je hèle, sans obtenir de réaction, commence à courir, je "Heyyyy" encore, les mains en porte-voix. Réalisant que j'ai le vent de face, je n'ai pas d'autre choix que de le rattraper. Cette personne s'arrête justement, semblant explorer du doigt les montagnes au loin à droite, puis me remarque.
La peau plus que bronzée, attiraillé comme un thru-hiker (terme très utilisé aux Etats-Unis pour désigner les randonneurs longue distance), il s'agit de Jim, l'américain dont Zorana m'avait parlé à Skorpovac ! Lorsqu'il retire sa paire de lunettes teintées, de petits yeux d'un bleu vif vous fixent. Nous discutons quelques minutes avec plaisir, évoquons nos destinations respectives pour la journée, mais quand il me demande "Ready to hike?" (Prêt à marcher ?) je lui avoue que mon bardas est un peu étalé et que je m'apprêtais à déjeuner, alors nous nous disons à plus tard. Je retourne guilleret à mon modeste camp piquant, cette rencontre simple et rare donne du baume au cœur.
L'après-midi m'amène à un petit village isolé entouré d'éoliennes, qui de loin avaient l'air presque graciles mais qui de près sont massives. Le hameau est calme et j'y trouve de l'eau à filtrer. Je reprends le chemin qui retourne malheureusement vers la large piste, mais j'ai la bonne surprise de la traverser et de continuer en contrebas. Quelques bosquets d'arbustes offrent une ombre bienvenue, quand il ne s'agit pas d'aubépine griffante qu'il faut traverser.
Je passe bien des enclos en pierre, dont certains abritent des arbres fruitiers. Le soleil descend progressivement, la vue se dégage à nouveau côté plaine, bucolique à souhait. C'est peu après avoir passé une source que je m'arrête pour la soirée, lumière et paysage rendant le bivouac idyllique.
20,8km +535 -330