Afin de m'isoler, j'ai atteint un nombre de couches maximal : bâche au sol, tente, matelas autogonflant, couverture de survie (dessus), bivy bag (sursac de couchage), sac de couchage (10°), drap de soie, vêtements de pluie, gilet, deux t-shirt. Malgré cette accumulation le froid me réveille à 2h30, c'est un poil mieux que la veille. Pour la deuxième nuit de suite, n'arrivant pas à dormir j'avance l'écriture de ce journal, lové à l'intérieur de mon duvet.
Levé aux aurores, je vais faire un tour au sommet pour me réchauffer. Le soleil vient à peine de se lever quand j'y arrive et j'en prends à nouveau plein les yeux. Il n'est même pas encore 6 heures, les hordes de marcheurs sont loin, je savoure ce moment de bonheur solitaire qui n'a pas de prix. Quand je redescends, Jim est en train de prendre son petit-déjeuner, il me croyait encore endormi. Le repas de ce matin pour moi c'est…. Ai-je besoin de le préciser ? des pâtes. À part ça il ne me reste qu'un ou deux en-cas que je conserve pour la longue descente.
Le camp plié, corps en mouvement, avec Jim nous passons devant ce lieu iconique en Bosnie-Herzégovine, Hajdučka vrata, une formation rocheuse qui forme un anneau presque parfait. C’est LE spot à photos du secteur.
Le chemin jusqu’à Jablanica va s’avérer très varié avec des parties minérales aux très beaux panoramas, des replats verdoyants, ondulants et bourrés de fleurs, de la piste, de la forêt. J’y vois une quantité impressionnantes d’ombelles blanches, où je devine la foule d’insectes qui s’y active, mais aussi des lys, des mauves, des digitales jaunes, des gentianes jaunes, des épilobes, quelques molènes, et bien d’autres encore.
La perspective d’une ville est un puits à fantasmes, surtout de nourriture. La raison me quitte à chaque fois dans ces moments-là. Avec Jim, nous nous entendons pour nous retrouver à Jablanica, d’ici là je trace ! Deux mille mètres de dénivelé négatif, “bourrinés” dans la matinée. Je cours presque, aimanté.
Le paradoxe, c’est que plus je descends et moins le cadre est agréable, il y aurait tant de raisons de ralentir. L’air devient pesant, lourd. Le chemin se mue en piste, la végétation perd peu à peu de sa richesse, et pour couronner le tout, je finis par longer une espèce de décharge à ciel ouvert. Passer d’une nature vierge et fraîche à cette décharge puante, où l’air est lourd, où au milieu des déchets mon regard tombe sur des carcasses, laissées là en plein soleil. J’imagine ce qui, à la moindre pluie, s’écoule dans la rivière juste en contrebas…
Mes pensées sont encore agitées alors que j’enquille une section de goudron. Arrivé à Jablanica, je me rends à l'adresse d'une guesthouse dont Jim m'a parlé, chou blanc, peut-être n’existe-t-elle plus. C’est une ville de plus de 4000 habitants, avec des immeubles, environnement auquel je ne suis plus habitué. Comme à Gračac, j'ai laissé mon bâton de marche en bois à un endroit où je pourrai le récupérer, et ai replié le deuxième bâton de marche.
Je continue mon chemin et passe devant un grand hôtel, très classe. En fait il a l’air aussi classe que j’ai l’air d’un pouilleux. Mon t-shirt est trempé de transpiration et un peu troué aux épaules à cause des séances de bushwacking, mes cernes sont marquées après deux très petites nuits, mon allure est globalement un peu poussiéreuse, ma barbe et mes cheveux n’ont pas vu une tondeuse depuis bientôt un mois. Tant pis pour eux, d’autant plus que le prix d’une chambre n’a rien d’intimidant comparé aux prix en France (Nuit + petit déjeuner : 70 KM soit 35 €).
Le personnel est sympathique, ne se formalisant pas, et quelques minutes plus tard, me voici dans une chambre super clean, avec une salle de bain au top. En une minute, rien qu’en enlevant mes chaussures, j’ai déjà "pourri" la moquette d’une myriade de fragments de brindilles et feuilles mortes, que j'essaie néanmoins de ramasser. La minute d’après je suis sous la douche.
Je passe à l’étape suivante : manger un morceau. Je trouve mon bonheur dans une sorte de petit fast food local, où je mange plusieurs parts de pita et variant les garnitures, le tout accompagné d’une bière de Sarajevo. Bref, je gère mon ravitaillement en bouffe, puis j’erre un peu, rester sur place je ne sais plus bien faire. Je croise Jim dans le hall de l'hôtel, on va manger ensemble le soir à la terrasse d’un restau simple, avant de se balader dans la ville animée, en purs touristes, une glace à la main.
Jim souhaite rester un jour à Jablanica. Pour ma part l'horloge tourne. J'ai promis de rentrer tout début août, sachant que j'ai trois jours de route, et que je ne sais pas exactement combien de temps il va me falloir pour revenir à mon point de départ en transports en commun, j'estime qu'il ne me reste que 2/3 jours de marche. Matthew, l'australien croisé deux jours plus tôt, m'a conseillé de ne pas passer à côté du massif Prenj, dernière cerise sur le gâteau. Il me faudra ensuite enclencher le siège éjectable, brutalement m'extraire de l'aventure, faute de temps.
En rentrant à l'hôtel, Jim a droit à mon petit rituel en se voyant offrir un de mes dessins, avec mes coordonnées au dos comme d'habitude. Il adore cette idée de carte de visite artistique et unique. Nous nous souhaitons plein de bon vent pour la suite de nos aventures respectives, pensant ne jamais nous revoir...
19,3km +200 -1970