J'avais désactivé mon alarme matinale pour ne pas déranger les compagnons de chambrée arrivés tardivement, je m'éveille néanmoins peu après et suis déjà en chemin avant 7h, décidé à profiter de la fraîcheur. Seul le monsieur aux cheveux blancs est levé, buvant un café tranquillement dehors. Il me regarde mettre le sac sur mes épaules d'un balancement, prendre mon unique bâton, nous n'avons pas besoin de beaucoup parler, ses yeux expressifs et souriants me souhaitent bon vent !
Parti trop vite je rate le chemin montant vers Veliki Stolac, mais je me rattrape en allant sur Panos qui est une sacrée surprise puisque s'y trouve une friche militaire. J'y savoure mon petit-déjeuner au sommet, avec une vue "panos'ramique".
Suite à cette belle façon imprévue de commencer la journée, j'emprunte une longue portion de piste en pente douce. Un sol damé et à l'ombre de temps en temps, ça gonfle les voiles. En approchant d'une ruine, deux renards fuient. J'y manque le tracé de la Via Dinarica une fois, que je recroise plus loin, puis le rate une deuxième fois, enfin la troisième fois je scrute carte et GPS, je suis au bon endroit, il y a un marquage sur un arbre mais aucune trace de sentier. Tant pis, je passe, improvise, et retombe sur le tracé dix minutes plus tard.
La chaleur est déjà franche, je dégouline autant que mes pas sont lourds sur les raidillons ondulant en forêt. Je déniche un deuxième bâton de marche en bois et m'en porte mieux, le soir je taillerai à la hache les bouts de branche qui dépassent et me griffent parfois les jambes.
Sac laissé au pied de Debeli kuk, je grimpe léger, et heureusement car les pieds glissent, dérapent. L'ombre y est rare et, trempé, il me faut faire quelques pauses derrière un maigre arbuste, me ventilant avec mon chapeau. La vue vaut le coup, au loin je distingue notamment la friche militaire que j'explorais trois heures plus tôt. La chaleur est telle que j’envisage de couper la journée de marche en deux, je vise le refuge Tatekova Koliba, y arrive sur les coups de 13 heures.
Je pénètre dans la sommaire cabane, signe le carnet de passage, en ressors. Par curiosité j'ouvre une deuxième porte, dans ce débarras un loir me fixe depuis l'étagère en face, imperturbable, je lui fiche la paix. J'ai l'impression d'avoir atterri dans un petit mas délaissé et perdu en Provence, la chaleur y est écrasante, le silence total si ce n'est celui de quelques insectes ou lézards galopant à une vitesse parfois impressionnante.
Le seul répit se trouve dans une sieste sur un banc à l'ombre des arbres, où un air salvateur fait danser les feuilles. Pendant 4 heures, je ne vois ni n'entends personne, ce lieu est l’un des plus hors du temps que j’ai connu, à en faire pâlir bien des lieux abandonnés que j’ai visités lors des mes expéditions colorées. Aucune autre âme, plus avisée, n'a été assez folle pour se jeter dans ce trou. Mauvaise surprise, la pompe manuelle n'apporte pas d'eau.
Ce n'est qu'en Bosnie-Herzégovine que Carsten me transmettra l'astuce qu'il a lui-même apprise après coup : il faut commencer par verser l'eau de la bouteille dans la pompe pour l'amorcer !
Je filtre néanmoins 1 litre et demi qui traîne en bouteilles dans le refuge, en laissant suffisamment pour les prochains. Ce soir il me faut donc arriver à un point d'eau, c'est à peu près vital. Le refuge Struge est encore à 17 km avec notamment une montée finale de 600 mètres de dénivelé. Celui de Zavrata nécessite un détour mais ne se trouve qu'à environ 9 kilomètres, le choix est fait.
Le gros de la chaleur commençant à passer, il est presque 18h quand je m'actionne. Ça tape encore et je sue grandement mais tiens bon. Je traverse quelques bois lumineux à souhait et atteins Kamena galerija, petite boucle sur le tracé qui pique ma curiosité. La roche karstique est sculptée d’une façon incroyable, il y a de petites gorges profondes avant que le parcours ne vire à l'acrobatie au-dessus des pierres acérées, c'est inattendu, impressionnant, mais je crapahute avec plaisir !
Le jour baisse et ça me met un peu la pression. J'avance en mode tank, décidé à engraisser le compteur kilométrique. Les pieds et les genoux faiblissent, heureusement l'état et le dénivelé du chemin sont corrects. Je rencontre quelques ruines et crottes d'animaux domestiques, il doit y avoir de l'eau. Je suis surpris de maintenant surplomber de très larges plaines encaissées en contrebas, parfaitement plates.
Dans la lumière de fin de journée, un homme marche lentement vers ses chevaux, baignant lui aussi dans le calme de ces montagnes désertes. Malheureusement pour moi, mon chemin rétrécit de plus en plus et la végétation l'envahit, je passe une heure à me faufiler entre les branches, chercher le balisage, me localise régulièrement à l’aide de l'application Locus Map et ses cartes topographiques.
La pénombre approche, encore un peu plus griffé je débouche sur une nouvelle plaine immense. Le ruisseau indiqué sur la carte est à sec... j’allume la frontale et continue jusqu’au refuge. Je n’y trouve que de l'eau en bouteille jaunie, que je filtre, puis je lance la cuisson de la soupe/pâtes, et monte la tente pour profiter de la fraîcheur nocturne.
Malgré la quantité de hautes herbes traversées chaque jour et la menace des tiques, la chaleur m'a fait délaisser mon bas de pantalon depuis longtemps. Elles ont pour habitude de s'accrocher à des tiges, prêtes à saisir au vol la créature qui s'y frotte. Pour gérer ce problème je fais un contrôle régulier de mes jambes, particulièrement après une traversée de hautes herbes ou de chemin d'animaux. De plus, comme chaque été, j'ai traité mon pantalon avant de partir à l'aide d'un aérosol adapté aux vêtements.
En 10 jours sur la Via Dinarica je n'avais pas encore vu une seule tique, cela change ce soir quand j'aperçois sur la pierre où j'allais m'asseoir une sorte de petite arachnide galoper, sa forme et ses 2 pattes relevées à l'avant me font rapidement… tiquer. Une tique aussi grosse et rapide, c'est possible ça ?
Je remarque que j'en ai une tout juste accrochée sur une cheville, j'use de la pince adéquate pour la retirer. Assis sur une pierre immobile, elles viennent à moi pour me grimper sur la jambe, ainsi j'en chasse une autre. Leur taille les perd puisque les poils de mes jambes me permettent de facilement les sentir. Un peu flippant quand même...
Plus tard, je remarque un crapaud, lui aussi énorme. Je lave sommairement ma gamelle en sautillant presque, psychoté par les tiques, fourre mes affaires dans le refuge, et me zippe vite fait dans la tente.
Merci au temps de s'être figé aussi remarquablement plusieurs fois au cours de la journée.
25km +895m -1410m