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10 juillet

Je pars à la bourre de la chambre, cavale pour atteindre la gare qui est à ½ heure à pied, récupérant mon bâton en bois au passage. En chemin je croise quelques papis à vélo, leur regard profond et maintenu est plutôt chaleureux et sympathique, et leur allure à l’opposé de la mienne.

J'atteins la gare pile à l'heure, un train est d'ailleurs à quai, mais on me dit que ce n'est pas le bon, que celui pour Knin (que l'on prononce "queunine") passera d’ici 20 à 30 minutes. Aucun panneau indicateur, la gare est franchement décrépite. Au moins ça me laisse le temps d'acheter un ticket, qui revient moins cher en guichet me dit-on. Au bout d’un moment d'attente, une personne arrive au guichet, puis ils s'y mettent à deux, et au bout de 10 minutes j'obtiens un ticket pour Knin pour 60,70 kn (soit 8,20€).

Pas limpide tout ça. La grille horaire se révèle tout à fait théorique.<br>
Pas limpide tout ça. La grille horaire se révèle tout à fait théorique.

Sur le quai, nous ne sommes que trois. Je fais la connaissance d'Ivan, accompagné de sa maman. Son anglais est bon en plus de connaître quelques mots de français. Sa famille est ici, mais lui vit en Serbie avec sa femme et ses enfants. Il part pour plusieurs mois exercer son métier de cuisinier sur une île croate. Ce métier est également celui de ses parents et était celui de ses grands-parents si j'ai bien compris, autant dire qu'il l'a dans le sang.

Il a également travaillé en Autriche, en Allemagne. Il vogue régulièrement vers l'étranger, motivé par les salaires jusqu'à 5 fois supérieurs ! Pour me donner un ordre d'idée, il indique que le salaire moyen en Serbie est de 400€, alors que la nourriture et le carburant coûtent le même prix qu'en Allemagne. La plupart des serbes sont néanmoins propriétaires, c'est toujours le loyer de moins à payer tu me diras. Nombreux sont-ils à travailler à l'étranger, et la seule chose qui les freine est le besoin de visas de travail, sans ça, me dit-il, la Serbie serait vide ! C'est pourtant un beau pays m'assure-t-il, apprécié des touristes, avec des thermes très réputés, de belles stations de ski, des montagnes, gorges, rivières et canyons sublimes, et je le crois.

Le paysage défile, et en même temps je suis sur mon téléphone le tracé de la Via Dinarica, guettant le relief que mes pieds ne parcourent pas. La plupart des gares devant lesquelles nous passons ne semblent plus desservies et sont à l'abandon. À l'approche du train, un chef de gare sort pourtant parfois, figé dans une pose incertaine il regarde le train passer, derrière lui toutes les vitres du bâtiment sont cassées, un chat perché sur l'une d'entre elles.

Nous approchons de Knin, alors je salue chaleureusement Ivan, le remercie pour le sandwich préparé par sa maman, lui souhaite de bien profiter de la plage pendant ses jours de repos, puis sors du train et de la gare. Un office de tourisme se trouve en face, c'est bien commode. La jeune femme au guichet est d'une aide précieuse pour me renseigner sur un bus pour Vrlika, son anglais est excellent et elle est prompte à passer des coups de fil pour se renseigner.

Elle est bien plus efficace que la jolie petite blonde accoudée à un mètre, que je semble totalement fasciner. Elle me scrute, un large sourire traverse son visage. Je n'ai pourtant fait qu'entrer avec mon barda, alors évitons de mentionner les 245 kilomètres seul à pied à travers les montagnes. Je "Hvala" et "Bok!", puis sors acheter un ticket de bus qui me revient à 28 kn (3,8 €) pour une durée estimée à une demie-heure.

Ayant 1h30 devant moi, j'essaie de trouver une cartouche de gaz. Malgré l'investissement et la sympathie des personnes que je questionne, je fais banqueroute à chaque boutique. Quand je parviens à en trouver, leur sommet n'est que métal lisse, dépourvu de valve. Je n'ai pas non plus réussi à dénicher de carte postale, c'est partie remise, je finis par grimper dans le bus dont le moteur chauffe déjà.

L'arrière-pays croate est bucolique à souhait, un peu hors du temps
L'arrière-pays croate est bucolique à souhait, un peu hors du temps

Le paysage change, nous sillonnons la plaine au pied des montagnes, une belle campagne, les bâtiments abandonnés en plus. Sur la carte je repère qu’il serait plus intéressant de descendre un peu avant Vrlika, ce que je précise au chauffeur, qui acquiesce mais ne ralentit aucunement à l'arrêt indiqué… Je fais une autre tentative plus tard, sans plus de succès. Et dire que j'avais compris que le bus était le moyen le plus simple de se déplacer. C'est seulement au cœur de Vrlika que le chauffeur accepte de me déposer, je comprends alors, dépité, qu'il ne m'a tout simplement pas fait confiance. Il m'a pris pour un touriste perdu. Suis-je perdu ? Qu'importe, il est 15 heures, mes pieds reprennent leur rythme.

A une station essence je fais un nouvel essai infructueux pour une cartouche de gaz, puis couvre 12 kilomètres, dont 10 sur de la route, qui paraissent infinis. Comment de l'asphalte à peu près plat sous un temps clément peut-il me paraître plus pénible que le dénivelé des montagnes ? Je m'aperçois en scrutant la carte que c'est là le programme des prochains jours… J'ai été appelé par le lac Cetina, la topographie, et n'ai pas assez étudié le tracé de la Via Dinarica en lui-même.

Heureusement il n'y a vraiment personne sur ces routes. Mon sac inutilement chargé à bloc de provisions me cause des douleurs dans le dos, mes orteils souffrent en silence comme tous ces derniers jours. Quand le vent me pousse une sacrée soufflante de face je n'y tiens plus, il me faut un remontant ! Je lance le lecteur de musique sur mon téléphone et sélectionne l'album "If you leave" de Daughter, appareil coincé sous une bretelle du sac à dos, volume à fond !

C'est joli, mais très (très) monotone à pied !
C'est joli, mais très (très) monotone à pied !
Cadre idéal pour un bivouac
Cadre idéal pour un bivouac

Je finis par bifurquer sur Vučemilovići et traverse un village étalé, tout plein de charme et de calme sous la caresse du soleil baissant. Il y a de nombreux potagers, y compris dans les champs. Les gens s'y affairent paisiblement. Je vois les poules, les chèvres, des ruches, j'entends les moutons. Nul doute que les personnes qui vivent ici se régalent d'une riche production locale. Suivant ceux que Sylvain Tesson appelle les "chemins noirs" j'atteins mon objectif, le bord du lac, où je repère un emplacement assez plat, avant d'aller tremper mes pieds dans l'eau. Un aîné arrive avec sa troupe de chèvres, venues boire. Grands sourires et salut silencieux. L'eau est si bonne que quand ils partent j’y nage un instant.

Merci à Ivan pour sa grande sympathie et à l'efficace jeune femme du bureau touristique.

19km +220m -280m