Enfin prêt seulement à 17h30 la veille, j'ai remis le départ au lendemain, l'occasion de passer quelques ultimes moments avec Sarah. La nuit passe et le réveil sonne, je sais que cette fois c'est la bonne. Nous prenons le petit déjeuner puis je décolle. J'évite les autoroutes, et sous le soleil je prends plaisir comme d'habitude à voir du pays, même à quelques heures de chez moi.
Dans l'après-midi, les Vosges amènent une belle poignée de virages parcourus par de nombreux motards, l'ombre des forêts est bienvenue. Progressivement les noms prennent une consonance allemande, et les plaques des motard.e.s participent à la confusion. Seuls quelques repères tels que les panneaux d'une gare me confirment que je suis encore en France. Plus tard le passage du Rhin ne laisse plus de doute. Je prends un peu d'autoroute allemande, avec l'idée de traverser rapidement ce pays.
Je me fais une petite frayeur concernant le carburant tellement les sorties sont espacées sur l'A8, et lorsque j’atteins une sortie je me trouve baladé d’une 2-voies rapide à une autre. Une fois le réservoir rempli, la jauge ne remonte pas... décidément. Un peu de patience viendra à bout de ce problème. Je reprends l'autoroute, roule et roule, suis le seul en interfile dans les immanquables bouchons allemands.
Mon postérieur souffrant, je profite d'une pause pour faire un point sur mon objectif de la journée. J'opte pour le camping où nous nous étions arrêtés en rentrant de Slovénie 2 ans auparavant, mais j'y vais par les petites routes, et quel bonheur. Lumière baissante, routes viroleuses inattendues, les premiers lacets s'enchaînent et me filent une sacrée banane.
Arrivé au camping j’installe tente et couchage rapidement puis vais boire une bière et manger. La solitude me gagne dans ce camping empli de hollandais. Alors que je prépare mon porridge du lendemain, une dame seule m'accoste. Elle prend plaisir à dérouiller un français honorable. Elle revient justement des Balkans, qu'elle a visité en groupe, et m’en vante les mérites.
Merci les motard.e.s pour tous les saluts donnés/rendus. Merci madame pour votre curiosité.
Réveil à six heures du matin après une première nuit dans ma tente ultra-légère "Lunar Solo" (de la marque "Six Moon Design"). Cette tente affiche fièrement seulement 700 grammes sur la balance sans les sardines ni les haubans. Je constate que sa paroi est trempée, à l'extérieur comme à l'intérieur. Je sais les tentes mono-paroi sensibles à l’humidité, mais en passant la tête dehors, je lui pardonne en voyant que nous sommes en plein brouillard. Les nuages ont décidé de faire une pause par ici eux aussi. Je savoure mon porridge, qui manque de crémeux mais ouvre des perspectives, passe un peu de temps à essuyer la tente, remballe mon barda minimaliste et démarre.
Je rejoins rapidement l'autoroute, décidé à ne pas m'éterniser en Allemagne. Quelques heures plus tard, Munich derrière moi, je règle une note très salée à une station essence sur l'autoroute (1,78 € le litre de carburant, en 2019 ça paraissait beaucoup !). Je profite de cet arrêt pour faire un point sur l'itinéraire et décide d'emprunter le réseau secondaire, une idée que j’ai rarement regrettée. Faire ce point carte avant le plein d'essence m'aurait sans doute permis d'alléger la facture, tant pis.
Les départementales à travers la campagne allemande sont très agréables et le temps radieux. Plus loin, des travaux m'obligent à bifurquer sur une voie communale un peu étroite qui serpente à travers les champs, son revêtement est nickel et je vois au loin les montagnes autrichiennes approcher. Bonheur. Je repère une bakerei (boulangerie) dans une petite ville et achète à la dame bien souriante deux viennoiseries : un roulé à la cannelle, et une autre viennoiserie à la confiture de fraise. Il est encore tôt pour manger mais je coupe le contact près d'un arbre ombragé au bord d'un champ. La vue sur les montagnes au loin est parfaite pour déguster le roulé avec gourmandise, puis j'ai voulu simplement goûter la douceur aux fraises... mais la voilà engloutie, quelle belle surprise !
La route se poursuit, m'emmenant en Autriche, au pied des hautes montagnes ! Les motards se font plus nombreux, et le tracé de plus en plus sinueux. Sur certaines portions, je prends mon pied il faut l'avouer à enchaîner des virages rapides, vigilant sur les trajectoires. Cela fait seulement 10 jours que nous avons quitté ce pays, pourtant la neige n'a pas perdu de temps pour fondre. Traversant des stations de ski, je constate que la plupart des sommets ont désormais l'air facilement praticables à pied. C'est plus tard, en roulant au bord de la rivière habitant le fond d'une longue vallée, que je finis par faire une pause pique-nique.
Les lupins mauves sont innombrables, mais ils ne sont pas seuls, le lieu est réjouissant, entouré de corymbes blanches face au torrent clair. Mon expérimentation culinaire le sera beaucoup moins. Un peu reposé, je recharge mes affaires et grimpe en selle. Je ressens moins d'entrain, et roule plutôt cool jusqu'à l'approche de la frontière slovène, qui se trouve en haut de la montagne. La route devient un régal de sinuosité. Droite, gauche, droite, gauche, les virages serrés s'enchaînent de façon régulière sans ligne droite, ma vitesse et mes trajectoires sont bonnes, la moto se couche généreusement, c'est un plaisir de fluidité rapide.
C'est encore le mal aux fesses qui me fait m'arrêter côté slovène. Un point sur la carte me confirme qu'arriver au sud du pays ce soir n'est pas réaliste, la fatigue se fait sentir et le début de soirée approche. Par les petites routes, voire chemins allant entre les champs de fait de travaux, j'atterris à un joli camping au bord de la rivière Sava... et franchement "ça va" (jeu de mots de l'année). J'installe la tente au soleil, proche de l'eau, face aux canards et cygnes qui vadrouillent, s'approchant parfois avec l'espoir d'une miette, puis je profite d'une bonne douche et passe quelques coups de fil. Les enfants qui viennent jouer au bord de la rivière et se baigner sont aussi gentils que bruyants. Le calme retrouvé, je profite de la lumière qui s'adoucit et de la brume qui arrive en flottant au-dessus de l'eau !
Merci l'écureuil de t'être ravisé un instant au lieu de traverser sous mes roues. Je préfère mille fois te voir courir dans mon rétroviseur. Merci rivière Sava de m’avoir accueilli sur ta rive.
Voilà une journée qui promet de sortir du terrain connu. Je plie la tente et range mes affaires sous le regard un peu curieux d'une jeune fille souriante et celui chaleureux de sa mère. L'itinéraire me fait traverser un brin de la banlieue de Ljubljana, capitale de la Slovénie, qui lorsque l'on arrive du côté nord-est a un air de village, puis m'emmène à travers la campagne et quelques bois. Les villages sont ensoleillés et paisibles, je traverse même Brest !
Je rejoins la route 106, plus importante, qui file vers le sud. Le peu de lignes droites rend les dépassements musclés. Enfin le tracé me ramène sur de petites voies moins fréquentées qui sillonnent à travers les bois, et traversent quelques villages charmants et paisibles. Le sud de la Slovénie est bucolique, ça donne envie de l’explorer davantage, aujourd’hui je ne suis que de passage et il me faut me faire une raison.
Sans crier gare je me retrouve au détour d'un virage au poste frontalier ! Mon passeport y est contrôlé brièvement, sans un mot, et je repars, formalité expédiée. Ça m'a pris de court, voilà que je roule en Croatie ! Pays où je n'ai encore jamais mis les pieds (ni les roues) et où mon aventure à pied va démarrer ! Mon casque cache mon immense sourire mais je le sens rayonner en moi ! D'autant plus que les premières routes sont sinueuses à souhait.
Me voici arrivé en terre inconnue par mes propres moyens, tant de choses à découvrir, c'est l'aventure ! Je savoure les premiers paysages, les bois bas et lumineux où le bitume est trop étroit pour que deux voitures s'y croisent. J'avance au calme, en marge de la côte que je sais touristique, puis le décor change brutalement, devenant aride, constellé de pierres claires. Je m'arrête et grimpe sur une petite colline pour observer le panorama, le soleil tape, ça souffle fort, et je distingue la mer adriatique.
La chaleur grimpe au point que j'étouffe un peu sous mon casque, alors je rejoins la ville de bord de mer Novi Vinodolski où je trouve un coin à l'ombre pour m'arrêter, et tenter de retirer de l'argent en monnaie locale, la kuna (martre). Un euro vaut 7,40 kunas, ça rappelle grossièrement les conversions en francs. Les centimes sont des lipas (tilleul), soit 1 kuna = 100 lipa.
Malheureusement le distributeur de billets n'est pas coopératif... faute de solde suffisant ! Ça commence bien. Via mon smartphone je constate effectivement être à découvert de quasiment 700 € ! En préparant mon départ j’ai à peu près tout vérifié, sauf ça ! J'assume, contacte ma banque pour régulariser la situation, on m'informe qu’il faudra attendre le lendemain. Il est midi et me voici contraint d'attendre un jour, sans monnaie locale.
Via mon téléphone je trouve une chambre d'hôtel toute proche. L'homme qui m'accueille est cordial, parle suffisamment anglais. Il m'invite à garer la moto dans le petit patio qui semble être la cour de leur propre logement, puis me montre la chambre dont la fenêtre donne sur un port de plaisance. Je me déleste de mes épaisses chaussures et pantalon renforcés et me métamorphose en touriste, émergeant de la chambre en tongs, short et lunettes de soleil. Je parcours ainsi les rues piétonnes et fais ce dont j'aurais dû avoir l'idée plus tôt, repérer les bureaux de change, comparer les taux, et changer les euros que j'ai sur moi en espèces !
Kunas en poche, je me sens un peu requinqué, j'ai de quoi me payer à boire, à manger, et le patron de l'hôtel demain ! J'erre ensuite tranquillement dans les ruelles piétonnes, redescends sur le petit port de plaisance, m'achète une canette fraîche puis longe le bord de mer. La lumière est assez brutale, presqu’aveuglante. Ne cherchez plus la foule, elle est là. Point de sable pourtant, mais les roches plates accueillent nombre de serviettes qui telles des poêles carrées cuisent des crêpes humaines. La mer est belle, très claire, son eau a l'air bonne et les baigneurs me tentent... mais je résiste.
Un peu plus loin une piscine fait fureur, bien qu’étrangement elle soit à peine à 50 mètres de la mer. Les rochers saturés ont repoussé l’excédent de touristes en maillot de bain sur les pelouses et sous les arbres environnants. La densité humaine diminue alors que j’approche de la fin de la ville, je fais demi-tour et remonte en zigzag à travers les rues. Quelques friches ont l'air lumineuses, calmes et aérées, avec vue sur mer, puis ce sont des quartiers résidentiels où il n’y a plus un bruit. Je me familiarise avec la flore : figuiers, lilas, bougainvilliers. Quant à la faune avicole, je suis surpris de voir essentiellement des hirondelles rustiques. Pour un bord de mer, les habituelles mouettes amatrices de restes de repas manquent à l'appel.
Ainsi je déambule et finis par m'installer à une terrasse de la rue piétonne principale, où le temps s'écoule agréablement avec une bière fraîche logée dans la paume. Après quelques courses dans un supermarché excentré, une douche rafraîchissante, je ressors pour manger. Changement d'ambiance, la rue piétonne est maintenant bien arpentée, signe que la plage s'est vidée. Dans un petit restaurant je déguste une viande fourrée au fromage, surplombée d'une boule de crème, et accompagné de riz cuisiné avec quelques légumes, frites, et rondelles d'oignon frais. C’est un délice, et je savoure chaque bouchée, conscient des tambouilles de bivouac qui m’attendent. Repu et souriant je paie. "Hvala" (merci) et "bok" (salut) !
L’estomac plein ne m’empêche pas de continuer à me gorger de cette ambiance nocturne bienveillante, où les touristes de bonne humeur déambulent dans une fraîcheur salvatrice. Restaurants et bars sont animés. Je finis la soirée installé en bord de mer, profitant des calmes reflets ondulants et du doux clapotis.
Merci le motard croisé dans le sud de la Slovénie qui d'un signe m’a averti de la présence d'un contrôle radar.